Tame Impala au Cine Joia (São Paulo) le mercredi 16 octobre
Ce n’est qu’à 22h45, soit avec quinze minutes de retard sur un horaire déjà tardif que Kevin Parker (oui, ne nous racontons pas d’histoire, Tame Impala, c’est lui, les autres musiciens ne sont que des acolytes chargés de faire vivre sur scène la musique de Kevin, composée et largement interprétée en solo dans sa chambre !) apparaît devant un public incroyablement enthousiaste. Kevin n’a rien d’une rock star, avec son allure de grande asperge molle, ses cheveux gras cachant largement son visage assez ingrat (un pif en forme de patate, mon dieu !)... Les autres musiciens ont l’allure à peu près aussi apathique, voire peu amène que lui, le tout correspondant parfaitement à ce que l’on peut attendre après avoir écouté « Lonerism », le second album de Tame Impala... Musique de drogués, comme on disait à une époque, mais surtout musique largement autiste, ou tout au moins renfermée sur elle même... Le groupe restera d’ailleurs parfaitement immobile pendant tout le set de une heure et demi, mis à part une petite transe finale de l’ami Kevin qui nous mimera quelques convulsions de guitar hero, ha ha ha... Comme les lumières sont assez minimales, on se fatigue assez vite de prendre des photos, toutes semblables et toutes sombres ! Heureusement, le son est impeccable ce soir, bien fort et bien... compact, ce qui est le mieux pour le genre de délire psychédélique que propose Tame Impala.
Par rapport aux versions de l’album que je connais, les titres sont réellement vivifiés en live, avec une rythmique puissante (bel effort du batteur, je dois dire) et des interventions à la guitare régulièrement enthousiasmantes : de plus, Kevin et sa bande ont tendance à rallonger la sauce en se lançant dans des sortes de jams instrumentales très seventies qui vont s’avérer le meilleur de la soirée. Musicalement, pour ceux qui ne connaîtraient pas, on est en terrain à la fois classique – je dirais entre le Pink Floyd de Syd Barrett et Deerhunter, si cela peut vous aider – et assez novateur quand même : toutes les chansons ont des formats bizarres, avec des effets de déconstruction déstabilisants, et un refus de quoi que soit qui puisse rassurer l’auditeur : adieu couplets et refrains, adieu début, milieu et fin de morceau, on est chez Tame Impala dans une sorte de chaos intime qui ne suit ni rime ni raison... Ce qui fait que je suis absolument stupéfait de l’enthousiasme général qui règne dans la salle : tous ces ados et ces jeunes qui chantent à tue tête TOUTES les paroles des chansons, et qui accueillent chaque nouvelle intro avec un véritable délire de cris et d’applaudissements ! Je dois dire que j’ai vraiment du mal à associer cette liesse populaire et ce fanatisme avec les ambiances acides de la musique de Tame Impala ! Et ce qui est drôle, c’est que le groupe paraît tout aussi sidéré par cet enthousiasme quasi disproportionné : Kevin, qui n’a pas la réputation d’être causant, interrompra plusieurs fois le set pour demander aux spectateurs s’ils ne sont pas « complètement fous » d’aimer à ce point sa musique !!! Au final, il commentera avec une innocence finalement bien sympathique que c’est la première fois, après avoir tourné dans le monde entier, qu’il voit une salle entière chanter toutes les paroles de ses chansons !
Bon, au delà de ce « gag », il faut reconnaître qu’un public aussi positif élève forcément le groupe vers des hauteurs qu’il n’atteindrait pas normalement. A partir de Why Won’t They talk to Me ?, où l’on a presque l’impression – incroyable – que Tame Impala pourrait être un jour un groupe de stadium rock, il se passe quelque chose, indéniablement : l’enchaînement de titres de « Innerspeaker », que je ne connais d’ailleurs pas, revêt une puissance croissante, les guitares devenant réellement magiques (d’où ce flashback de Deerhunter qui me vient...). A un moment, il y a trois guitares sur scène qui construisent un crescendo sonique ébouriffant. On se croirait revenus à l’époque des grandes jours du rock hippie californien, où l’efficacité n’était pas le but de la musique, mais où l’on recherchait au contraire une sorte de transe à travers de longues impros à la fois obstinées et échevelées. Ce petit quart d’heure parfait se conclut par le plaisir simple (enfin, pour Tame Impala) mais roboratif de Elephant, avec son riff heavy que ne renierait pas Jack White, et qui envoie toute la salle dans un pogo bon enfant. J’avoue que suis assez séduit !
Et puis, non, curieusement, toute la suite est comme un soufflé qui retombe, avec des morceaux à nouveau flottants, avec la voix geignarde de Kevin qui, saturée d’échos, devient peu à peu lassante, avec l’impression que le groupe ne sait plus quoi faire une fois sa victoire acquise. Un rappel tout aussi inutile, malgré une tentative de crescendo final assez inabouti, et me voilà donc avec un concert inclassable, entre tiédeur et excellence.
Impossible de récupérer une setlist, tout le monde se battant comme de beaux diables pour s’en emparer, mais la joie générale fait de toute manière plaisir à voir. Au final, je ne crois pas que Tame Impala devienne jamais l’un des mes groupes favoris (j’ai perdu leurs débuts, que tout le monde s’accordait à qualifier d’excellents...), mais la soirée a quand même été passionnante...