Revoyons les classiques du cinéma : "La Vie est Belle" de Frank Capra (1946)
On se demande toujours en revoyant, éblouis, les yeux pleins de larmes, le chef d'œuvre (qualificatif généralement abusif mais pleinement mérité ici) de Capra qu'est "La Vie est Belle" (traduction terriblement erronée du titre original d'un film qui montre que la vie - en général - n'est définitivement pas belle, mais qu'une personne peut "faire la différence"…), par quelle déviance il a pu devenir dans l'imaginaire américain le "film familial de Noël par excellence". Car derrière l'apologie "capraienne" (utopiste) de l'homme ordinaire dont l'héroïsme quotidien est le fondement de la société (le travail de George Bailey est d'offrir à chacun sa part du "rêve américain" sous la forme d'une maison qui lui appartienne), on retient surtout une peinture inspirée des faiblesses humaines, de la facilité avec laquelle on tombe dans le vice, l'égoïsme et la dépravation : le sacrifice - par défaut, un sacrifice de résignation à son destin - du meilleur d'entre nous passera forcément alors inaperçu. Et dans ces moments intenses où George Bailey devient enragé, on maudit avec lui cette société toute entière dont rien ne paraît digne d'être sauvé... Oui, le cinéma de Capra atteint bien ici son apogée, construisant une extraordinaire chronique d'une Amérique rêvée, champ de bataille du vice et de la vertu. On oublie souvent de dire que le film est aussi très drôle, visuellement magnifique et transcendé par l'interprétation d'un James Stewart visiblement ému par l'envergure spirituelle du projet. Finalement, après une dernière demi-heure épique, l'un des plus mémorables cauchemars que le Cinéma nous ait jamais offert... "happy end" ! Oui, le Bien triomphe... mais on sait que rien ne change vraiment. Et on en pleure, encore et encore.