The Cleansing : la fin, version rock’n’roll…
Bon, comme à chaque fois qu’on écrit quelque chose sur Peter Perrett, ex-leader des regrettés The Only Ones, on se doit de répéter l’avertissement de rigueur : le premier qui fait une blague sur le Zizi ou les jolies colonies de vacances est banni à vie de ces pages !
Ceci établi, parlons du dernier album de Peter Perrett, une véritable légende du rock anglais, un type capable malgré son âge (78 ans) de dégager une classe que peu de « rocker » modernes ont. Comme on a pu en juger lors de son dernier passage sur scène au Café de la Danse, il y a 5 ans de cela… « Dernier album » peut se lire ici dans les deux sens du terme, puisque The Cleansing, avec ses 20 morceaux, ressemble à un double album d’adieu au monde, au Rock, à la vie peut-être.
The Cleansing est toutefois avant tout un disque extrêmement personnel, intime même, habillé en album de rock mal peigné et teigneux, comme toujours, avec Peter. Il parle à deux reprises de son désir de quitter ce monde avec le plus de dignité possible : I Wanna Go With Dignity, avec son « If I’m gonna jump in front of a train / I’ll wait till after christmas / I don’t wanna overstay my welcome » (Si je dois sauter devant un train / J’attendrai après Noël / Je ne veux pas abuser de la bienveillance envers moi) et Do Not Resuscitate, encore plus direct dans ses « instructions » (« Just give me the smack / if you get the chance / don’t hesitate / send me on my way » – Donnez-moi juste la came / si vous en avez l’occasion / n’hésitez pas / envoyez-moi sur mon chemin). Il revient évidemment, avec tendresse et la juste distance qu’il faut sur ses frasques de jeunesse : « All that time, I thought I was having fun / took no time to question what we’d done » (Pendant tout ce temps, je pensais m’amuser/je n’ai pas pris le temps de remettre en question ce qu’on avait fait) sur All This Time. Et, en homme avisé qui a beaucoup vécu, il dispense le conseil qui va bien aux plus jeunes, pour qu’ils ne fassent pas les mêmes erreurs que lui : le plus grand titre de l’album est peut-être le magnifique Survival Mode (« Can’t communicate with rage / insults don’t improve with age / just move on and turn the page / keep that anger in its cage » – On ne peut pas communiquer avec la colère / les insultes ne s’améliorent pas avec l’âge / il suffit de passer à autre chose et de tourner la page / de garder cette colère dans sa cage).
Jusqu’à la fin (?), l’ancien chanteur des Only Ones aura continué de nous ouvrir son cœur, comme il n’a jamais cessé de le faire dans une œuvre introspective et sincère, marquée par les épreuves et la résilience (Peter a eu de graves problèmes de santé…). S’il a ce talent unique pour se raconter, sans embellir sa vie d’aucune manière, Peter adopte cette fois une posture de « vieil homme », avec un juste mélange entre sagesse de l’âge et douleur de voir la vie derrière soi. The Cleansing est un véritable voyage au cœur de l’ombre, cette ombre si particulière qui descend sur la vie de tout homme à partir d’un certain âge. Il explore des thèmes sombres mais universels : le désir de rédemption, la sourde douleur des souvenirs, l’angoisse devant la fin qui, d’un coup, est devenue tangible. Mais, Perrett est anglais, et a donc horreur de se prendre au sérieux : il est au sommet quand il transforme ses démons en chansons pleines d’humour, noir ou tendre suivant les cas. Prenez la redoutable Taliban Wife, la chanson la plus jouissive et décalée de l’album, quel régal d’entendre des mots comme : « My secret taliban wife / I’m her hostage, tied up but alive / we’re tryin’ something groovy tonight / … / she got me radicalised now / I’m converted, into her slave. » (Ma femme talibane secrète / Je suis son otage, attaché mais vivant / Nous essayons quelque chose de groovy ce soir / … / Elle m’a radicalisé maintenant / Je suis converti en son esclave.) !
La référence avouée de The Cleansing est la toute dernière partie, magistrale, de la discographie de Johnny Cash, sous la houlette du producteur Rick Rubin : il y a une volonté de créer ici une œuvre testamentaire, qui marquerait enfin l’entrée de Peter Perrett, l’éternel ignoré, au Panthéon des grands musiciens Rock. Mais le résultat n’est pas là, et c’est à la fois très bien comme ça, et un peu décevant. Très bien comme ça, parce que Peter n’est pas un GEANT de la musique, il n’a jamais prétendu l’être, et ce serait presque indécent, ou tout au moins absurde, qu’il nous laisse avec un chef d’œuvre « pour la postérité », lui qui comprend si bien la dérisoire insignifiance de la vie humaine.
Un peu décevant pourtant, car The Cleansing n’a pas bénéficié du travail d’un producteur « sérieux » ; il est beaucoup trop long : 20 titres, c’est trop pour un artiste expert dans la création d’albums concis. Si, indiscutablement, chaque morceau trouve sa place dans un ensemble qui ne manque pas de cohérence, on n’échappe pas à un sentiment de redite, accentué par la monotonie d’un chant à la fois touchant (cette voix cassée par les excès et les ravages du temps) et très limité. C’est sans doute parce que la réalisation de ce disque a eu lieu dans l’entourage chaleureux de parents et amis que nul n’a eu le courage de dire à Peter que, s’il sélectionnait ses dix meilleures titres, et limitait son album aux rituelles 40 minutes, il pondrait ce foutu « grand disque de Rock » que nous attendions tous de lui.
Mais quand même, on n’a pas mentionné deux choses qui font de ce The Cleansing l’un des albums les plus furieusement passionnants du moment : sa générosité mélodique (aucune chanson qui ne bénéficie pas d’une mélodie bien tenue, classique presque…!), et son fréquent « tranchant » rock’n’rollien, avec des guitares énervées, abrasives, équilibrant des orchestrations plus sages, au piano par exemple. Pas un monument, donc, mais un autre putain de bon disque de rock’n’roll, soit exactement ce que Peter Perrett a toujours su nous offrir.