"Saratoga" d'Eddie 9V : le Sud dans tous ses états
Mais qui est Eddie 9V ? L’équivalent en la bonne ville d’Atlanta (Georgia) de votre copain de collège, Edouard « deux de tension » dont tout le monde se moquait parce qu’il n’était pas bien vif ? Pas vraiment, parce que le reproche le plus communément adressé, depuis le début de sa carrière professionnelle au sein du groupe de blues-rock The Georgia Flood, à Brooks Mason, « chanteur, guitariste et compositeur américain de blues et de soul » (comme le dirait sa biographie officielle), c’est au contraire son énergie un peu trop (?) débordante ! D’ailleurs, jetez juste un oreille à Saratoga, le titre ouvrant son nouvel album, également le morceau le plus « rock » de l’album, avec un brillant solo de guitare dans sa conclusion, et vous comprendrez qu’il n’y a ici nul déficit d’énergie.
Non, ce « 9V » est une référence aux batteries 9 volts utilisées pour l’alimentation de certains micros ou pédales d’effets dans les guitares électriques. Mais il évoque aussi une simplicité et une accessibilité, assumée par un musicien qui se plait à adopter une approche musicale directe, sans artifices (là, encore, on reprend les explications habituelles données à ce patronyme étonnant, on espère pouvoir lui poser directement la question, un jour…).
Mais pour vous, Eddie 9V va devenir avec ce nouvel album – largement célébré par les « experts du Blues », quoi que ce soit que ça signifie, comme son meilleur, ou tout au moins son plus cohérent – votre professeur particulier dans le domaine des musiques du Sud des Etats-Unis : voici en effet une collection impeccable, frôlant la perfection, de douze chansons parcourant une bonne partie du spectre de la musique afro-américaine originale, du blues du Delta à la soul la plus sophistiquée, la plus soyeuse. Bon, Eddie 9V est un blanc, mais l’un de ces blancs qui donnent parfaitement le change quand il s’agit de chanter du Blues, et on ne veut entendre personne hurler à « l’appropriation culturelle » : car la passion brûlante qui l’anime pour cette musique « du passé » (oui, on sait bien que les jeunes écoutent du hip hop depuis quelque temps, mais est-ce pour autant une preuve que le blues ou la soul sont… dépassés ?) est perceptible dans chacune des chansons – toutes magnifiques, de véritables « classiques » potentiels – qu’il a composées pour cet album (à l’exception d’une reprise, le Chamber of Reflection de Mac DeMarco, boosté par des cuivres…).
Bien entendu, on est ici en terrain balisé, et il n’est pas interdit de lister des références, balayant largement deux décennies de musique, des années 50 aux années 70 : les aficionados on relevé que Lynyrd Skynyrd ou les Doobie Brothers ne sont pas loin sur un Truckee au picking élégant, mais la plupart du temps, on revient aux sources profondes de la musique du Sud : écoutez le bouleversant Love You All the Way Down, slow soul d’une profondeur remarquable, et vous n’êtes plus en 2024, dans un monde qui se repaît de grossièreté et de brutalité, vous êtes de retour dans le monde enchanté de la musique de l’âme.
Même s’il est difficile de dire quelles sont les chansons que l’on préfère dans un album qui tutoie l’excellence tout au long de ses quarante-et-une minutes, soulignons que Halo est une merveille d’inspiration et de grâce, qui fera craquer les cœurs les plus durs. Que Love Moves Slow aurait pu être un gros tube mondial au siècle dernier si on l’avait découvert sur un album de Michael Jackson. Que Cry Me A River est le genre de tuerie sensuelle qui vous fera inévitablement regretter de ne pas avoir rencontré l’amour de votre vie en dansant sur cette chanson. Que Wasp Weather défonce 90% des chansons proposées par The Black Keys sur leurs derniers albums. Et que, en conclusion, The Road to Nowhere aurait été reprise sans aucune hésitation par le King pour enrichir son répertoire.
Pas mal, non ?