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Le journal de Pok
1 novembre 2024

"Juré n°2" de Clint Eastwood : justice aveugle… et fragile !

A quand remonte le dernier vraiment bon film réalisé par Clint Eastwood ? Eh bien, en fait, à seulement 5 ans en arrière (Le Cas Richard Jewell), mais la raréfaction de son travail, fort compréhensible étant donné son âge – il a désormais atteint l’âge vénérable de 94 ans -, fait qu’on a tendance à le considérer désormais comme « un cinéaste du passé », à oublier que le « grand maître du cinéma classique » qu’il était (qu’il est), l’héritier à la fois de Ford, de Leone et de Siegel, est encore parmi nous. Son Juré n°2 est une belle claque, qui nous rappelle combien Eastwood est un brillant cinéaste, un formidable conteur d'histoires moralement complexes et ambigües (comme toutes celles dont il raffole, et dont il a tiré ses meilleurs films) avec rapidité, élégance et concision. Mais aussi combien il est un observateur pertinent des vertus et des tares de la société US.

Juré n°2 est un film de procès, soit un genre qu’à peu près tout le monde aime, mais dont le classicisme sent un peu la poussière. Justin est un jeune homme qui a connu une vie difficile (on le comprendra peu à peu), mais qui voit la lumière au bout du tunnel lorsque, avec la femme qu’il aime et a épousé, il va avoir enfin un enfant. Mais il est appelé à être juré dans un procès de violences « conjugales » mortelles, et se rend compte rapidement qu’il est, sans l’avoir imaginé, personnellement impliqué dans le drame. Comment pourra-t-il « rendre la justice » en toute conscience, mais sans non plus se mettre lui-même en danger ? Voilà le dilemme moral auquel il est confronté, et qui va l’entraîner peu à peu vers… Pour savoir l’issue de ce cas de conscience, il vous faudra d’abord éviter d’en savoir trop sur le film avant d’aller le voir, et ensuite le regarder jusqu’à la fin. Une fin qui a été, aux USA surtout, critiquée pour son côté elliptique, voire brutal.

Là où est le film d’Eastwood impressionne, ce n’est pas seulement dans son efficacité de thriller (on regarde le piège se refermer sur le « héros », et on est évidemment partagé entre l’espoir de le voir s’en sortir et les implications morales de ce désir), mais plutôt dans la manière, très simple et très efficace, dont il représente l’aveuglement et la fragilité de la justice : un accusé mal défendu par un avocat commis d’office qui n’a guère de temps à lui consacrer, une procureur qui voit le cas comme un tremplin lui permettant de remporter une élection, des jurés qui sont surtout soucieux de passer le moins de temps possible dans cette galère, ou qui sont plus influencés par leurs préjugés et leur propre expérience que par ce qu’ils entendent dans la salle d’audience… Comment la justice, ou mieux encore la vérité (est-ce d’ailleurs la même chose ?) pourrait-elle triompher ? Oui, cette Justice-là, censée être l’un des systèmes garants du fonctionnement de la démocratie américaine, est bel et bien aveugle. Le spectateur, comme le juré n°2, connaît la vérité, sait ce qui est juste, mais assiste impuissant à la défaite de la justice.

On a déjà dit combien Eastwood maîtrise sa narration, combien il est capable de mettre en scène, de manière claire, une succession d’ambiguïtés, de paradoxes, sans mâcher le travail de réflexion du spectateur, sans l’influencer dans ses propres réflexions morales, soit un genre d’approche terriblement rare désormais au cinéma. Pour réussir un film aussi subtil, il a choisi un casting impeccable, qu’il dirige avec la sagesse et la bienveillance qu’on lui a toujours connu (tous les acteurs sont toujours bons chez Clint Eastwood !) : mais c’est surtout Nicholas Hoult qui crève l’écran en « type bien » cachant pourtant de sombres secrets, sa fragilité et ses failles rappelant les personnages joués par Henry Fonda dans sa jeunesse. Une (petite) partie de l’histoire évoque d’ailleurs le thème du fameux Douze hommes en colère (où Fonda brillait particulièrement). Mais il s'agit finalement d'une fausse piste, et c’est sans doute là que le public – US en particulier – a pu être frustré par une conclusion qui ne sacrifie pas aux facilités morales et émotionnelles du cinéma consensuel. Et qui laisse chacun d’entre nous face à ses propres opinions, ses propres interrogations, plutôt.

Ajoutons pour finir, même si ça peut paraître un détail, que l’histoire de Juré n°2 se passe à Savannah, superbe ville traditionnelle de Géorgie où Eastwood avait déjà tourné un excellent Minuit dans le jardin du bien et du mal. Ce qui nous change très agréablement des LA, New York et autres Boston ou Philadelphie où se déroulent souvent les « films de procès ». Et espérons qu’Eastwood trouvera encore la force de nous régaler de plusieurs autres films, suivant l’exemple de l’inoubliable Manoel de Oliveira, qui a réalisé son ultime long-métrage à 104 ans !

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