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Le journal de Pok
31 octobre 2024

"Dernière nuit à Tremor" d’Oriol Paulo : le pianiste dans le labyrinthe

Connaissez-vous Oriol Paulo ? Le Catalan est l’un des grands maîtres du cinéma espagnol, spécialiste du thriller psychologique, mâtiné de fantastique. Tous ses films (L'accusé, Mirage, Les lignes courbes de Dieu), et sa première série Netflix, inspirée d'un livre de Coben, El Inocente, fonctionnent de la même manière, manipulant le spectateur en le plongeant dans des labyrinthes où il aura du mal à distinguer le vrai du faux, le réel de l'illusion, voire des hallucinations de ses personnages : des intrigues complexes au possible, parsemées de ces twists qui dont devenus un ingrédient incontournable du genre depuis les succès de Usual Suspects et du Sixième Sens à la fin des années 90. Stylistiquement, Paulo est un virtuose, presqu'un esthète, l'élégance de sa mise en scène ajoutant un "plus qualitatif" pas si fréquent dans le genre populaire du thriller.

Aimez-vous, aimons-nous Oriol Paulo ? La réponse est beaucoup moins claire, car tous ses films souffrent d'une complexité exagérée, d'une artificialité assumée qui les transforment en œuvres conceptuelles plus qu'en films réussissant à impliquer émotionnellement le spectateur : en dépit d'une indiscutable élégance de sa mise en scène, son travail reste avant tout du "cinéma de scénariste", qui prend plaisir à nous embrouiller avec des histoires tordues... Ce qui n'empêche pas qu'on ait quand même très envie, à chaque fois, de découvrir la nouvelle "folie" de ce cinéaste finalement insituable sur la carte des auteurs de notre époque (peut-être une Ver 2.0 de Brian De Palma, avec le délicieux et stimulant mauvais goût du maître en moins ?)

Dernière Nuit à Tremor est une mini-série constituée de 8 longs épisodes, dépassant pour la plupart une heure, et adaptée d'un livre à succès datant de 2014, de Milkel Santiago, auteur rêvant visiblement d'être le Stephen King espagnol ! Il y a d'ailleurs un peu de Dead Zone dans l'histoire de ce pianiste, rescapé d'un accident et se réveillant avec le pouvoir de voir le futur... et condamné à essayer d'empêcher les terribles événements dévoilés par ses visions d'arriver "dans la vraie vie" !

Álex de la Fuente est un pianiste réputé et compositeur recherché de BO de films, qui, perturbé par un divorce difficile et harcelé par des visions perturbantes au cours de crises de somnambulisme, quitte Londres où il vit, pour se réfugier à Temor, une petite ville de la côte nord-ouest de l'Espagne : il espère y retrouver un peu de calme, se lie d'amitié avec un couple de voisins habitants très près de la maison qu'il loue, et entame une liaison amoureuse avec une jeune femme qui s'occupe d'une pension. Mais, ses visions s'accentuant après qu'il ait été frappé par la foudre, il s'enfonce dans un dédale entre réalité et illusion, qui va, paradoxalement, le ramener à un événement-clé de son adolescence... Il ne faut pas en dire plus pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte, "l'énigme" proposée par le scénario étant plutôt habile, tout au moins jusqu'à un retournement final de situation qui fait appel à de vieilles ficelles qui sont désormais difficilement acceptables.

Dernière Nuit à Tremor n'est certainement pas une série parfaite. Comme souvent chez Oriol Paulo, on l'a dit, certains concepts "malins" passent mal à l'écran : ici, par exemple, la fiction ne fonctionne que si l'on admet une topographie improbable des lieux du drame, avec deux maisons isolées, mais assez proches l'une de l'autre pour que l'on puisse s'observer entre elles, mais assez distantes pour que le trajet en voiture de l'une à l'autre prenne un peu de temps... ce qui est quand même difficile. Paulo étant un piètre directeur d'acteurs, la faiblesse de l'interprétation de Javier Rey, qui tient le rôle principal, plombe de nombreuses scènes, en particulier lorsque l'acteur devient irritant en surjouant grossièrement la panique et le chagrin dans la dernière partie. Mais le gros, gros problème de Dernière Nuit à Tremor est la lenteur de ses trois premiers épisodes, interminable mise en place d'une intrigue il est vrai complexe, qui découragera plus que certainement nombre de téléspectateurs !

Recommandons néanmoins aux impatients de s'accrocher, en profitant par exemple de la singulière beauté des lieux où la série a été filmée, pour en arriver à la rupture brutale créée par un quatrième épisode (Para Judy) consacré en quasi totalité à une éprouvante scène de viol collectif et à ses conséquences. On a pu lire le commentaires d'internautes se plaignant de la difficulté de visionner cet épisode terrible, auquel on reproche d'être finalement inutile par rapport au déroulement de l'histoire. Si c'est un point qui se discute, on peut à l'inverse trouver cet épisode important en terme de "message" à une époque où trop de voix réactionnaires s'élèvent contre le mouvement #MeToo par exemple : chacun doit avoir le courage de regarder en face ce qui a été, et continue à être, invisibilisé dans une société qui ne veut pas reconnaître les violences faites aux femmes...

Comme s'il libérait Paulo, cet épisode de rupture radicale ouvre les vannes de la fiction, qui va se déployer sur les quatre épisodes passionnants de la seconde partie de Dernière Nuit à Tremor, qui imposent un "binge watching" frénétique (cinq heures, toutefois !). Quatre épisodes qui confortent, en dépit des défauts déjà signalés, la réputation de Paulo comme nouveau maître du thriller à connotation surnaturelle.

Peut mieux faire ? Oui, sans aucun doute. Mais quand même, quelle claque !

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