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Le journal de Pok
17 octobre 2024

"MEGAPHENIX" de Mustang : le retour à la vie…

15 ans d’existence, cinq albums, un accueil critique toujours chaleureux, et une indifférence quasiment totale du « grand public ». Du rockab’, du punk, du kraut, des mélodies bien troussées, mais surtout des textes en français. Des textes impressionnants, d’ailleurs, tant de par leur sincérité, leur crudité occasionnelle que leur rare musicalité : chanter du Rock en français, ça demande une plume particulièrement aguerrie, et Jean Felzine possède ce don-là, si rare. Et pourtant, dans un pays qui a porté aux nues des Téléphone et des Noir Désir (quoi qu’on pense par ailleurs de ces deux porte-drapeaux du « rock français ») chantant en français, Mustang n’a pas percé.

Depuis Memento Mori, un album sorti en pleine débâcle Covidienne et qui menaçait d’être leur dernier, les Clermontois parisiens sont un peu allés voir ailleurs si on y était : Felzine a sorti un premier album solo, Chord Memory, ce qui n’est jamais bon signe pour un groupe peinant à rencontrer le succès. Et pourtant, voici le duo Jean Felzine / Johan Gentile de retour avec le soutien d’un nouveau batteur, Nicolas Musset (ex-Louise Attaque, Gaëtan Roussel, et autres), qui revient tenter sa chance au casino, en espérant faire péter la baraque… Ou pas.

Le nouveau disque de Mustang, MEGAPHENIX, se cache derrière une pochette et un titre a priori déroutant, et, de fait, propose un virage qui déconcertera les fans de la première heure (et ceux de la deuxième, la troisième, etc.). L’oiseau mythique de la couverture pouvait sembler promettre du rock psyché dépaysant, pourquoi pas en microtonales façon King Gizzard, alors que dès le premier titre, Je ne suis plus aimé, baigné de cordes, on se retrouve devant de la « chanson française » orchestrée dans le style de Michel Legrand… ajoutera-t-on pour réellement faire peur à tout le monde ici. "Ma vie est en lambeaux / Ma vie est en morceaux" : on ne peut pas dire que ça aille très fort chez Felzine. Sa voix évoque ci et là la magie d’un Dominique A au plus bas, et l’irruption d’un solo de guitare incandescent au milieu de cette démonstration de force émotionnelle et dépressive surprend. Vous êtes toujours là avec nous ?

Aérosol va nous ramener sur des territoires plus familiers : ceux du rock, de la colère (ici contre la dangereuse bêtise des Antivax), le mustang galope, le sourire revient sur nos visages. La porte au nez marque alors le retour des claviers sur un crescendo irrité par toutes vexations vécues par le groupe : la crudité occasionnelle des expressions ("Est-ce que j’inspire le dégoût ? / Est-ce que ma bite elle a un goût ?") se mêle à de fières déclarations d’intention ("Non non maman j’fais pas d’télé / Ne me demande plus s’teuplait / J’fais pas les festivals d’été / Je serai chez moi tout juin, juillet / J’aurai jamais mes annuités / Je travaille pour l’éternité"), et on tient là le titre le plus frappant de l’album.

L’argent du beurre est un tempo moyen, une chanson assez classique, qui étonne par ses références religieuses. Mortification voit le groupe galoper à nouveau, déverser un beau lyrisme qui nous emporte, même si, à nouveau, on reste déconcertés devant des paroles absconses, avant qu’une intervention aux claviers, que le regretté Dave Greenfield n’aurait pas renié, conclue cette étrange affaire. Chanson française est le titre qui nous réjouira, évidemment, le plus, par sa densité de vacheries à la ligne : "La chanson française / Elle est est tellement conne / Elle sonne mal / La chanson française / Elle pèse une tonne / Elle pèse que dalle" . Il fallait le dire, c’est fait. Et qu’est-ce que ça fait du bien !

Tiretaine, Amen est un instrumental que le groupe a conçu comme hommage aux grands musiciens que sont Morricone et Uematsu, mais on peine quand même à saisir sa place au sein de la collection de chansons assez disparates qu’est MEGAPHENIX. Barbelé, fausse bossa nova mais vrai parenthèse enchantée, défie la logique en posant sur une atmosphère apaisée le texte le plus violemment politique du disque : "C’est vrai que c’est ton pays / Mais vois comme il est joli / Vois comme il est mieux ceint / Au barbelé américain" . Wikipédia, joué façon « punk à roulettes » (un genre qui n’a pas notre faveur, avouons-le) est plutôt laid, et vaut surtout pour son coup de chapeau à Ted Nelson, sociologue de l’informatique. Steve Jobs est le titre le plus faible du disque, le genre de choses qu’on relègue instinctivement en milieu de face B d’un album, souffrant de l’un des rares textes sans grand intérêt du disque, enfonçant des portes ouvertes sur le smartphone.

Heureusement, on se quitte sur un (très) beau Aéroport, qui propose une belle construction musicale pour abriter un texte brillant sur l’aliénation totale de l’univers des aéroports et du tourisme de masse ("Magasins détaxés / Faune cosmopolite / Parfums emmêlés / Qui puent et vous irritent / Ce n’est pas un espace / C’est un parcours fléché / Va niquer ta race / Avec ton sac Versace" ) et un joli Aigre-Doux en conclusion mélancolique et pourtant lumineuse, un titre qui pourrait aussi bien être une conclusion à une « carrière » déjà longue ou la promesse de nouvelles aventures. Car les derniers mots de MEGAPHENIX sont clairs (même s’ils se referrent à une blessure : « Plus fort que tout » !

PS : Et cette fameuse pochette ? Felzine en a livré l’explication en interview : « le Mégaphenix est un objet qui permet de ressusciter les membres d’une équipe dans le jeu Final Fantasy. » Memento Mori (au titre faussement prophétique, donc) ayant failli être le dernier album de Mustang, ce nouveau disque est bien conçu comme celui du retour à la vie.

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