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Le journal de Pok
25 octobre 2024

"La bande de l’abribus, Tome 2", de Luce Michel : c’est Voltaire qu’on assassine

Cela fait moins d’un an que nous avons quitté les éclopés de la vie de la Bande l’abribus, rescapés du massacre (… de sangliers) de la clinique des Trois Saintes, et nous les retrouvons déjà, mais dans une situation bien plus agréable : profitant de l’été dans la villa de luxe de Yann, un (riche) intellectuel célèbre, près de l’Ile du Levant. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que Yann trempe dans des combines très louches avec une multinationale sans foi ni loi, et qu’une bande de pieds nickelés fans de Voltaire a décidé de l’assassiner pour lui faire payer sa « trahison » vis à vis de l’œuvre du philosophe des Lumières…

… soit un imbroglio cocasse, pouvant rappeler les scénarios de certains des meilleurs films des frères Coen, puisque les tueurs amateurs s’embrouillent les pinceaux à la moindre occasion, que les gens « ordinaires » et leurs soucis « ordinaires » sont finalement au centre de l’histoire, et que les plans même un tant soit peu élaborés ont bien peu de poids face au hasard, et aux croches pieds du destin.

On tiquera certainement sur le « McGuffin » du livre, ce plan improbable de la multinationale diabolique visant à faire augmenter la consommation de produits végans, mais on reconnaîtra que ce que Luce Michel réussit le mieux, ce sont ces petits portraits réalisés de manière quasiment pointillistes : qu’il soient tendres ou cruels, ils ne manquent quasiment jamais leur cible, et ils infusent un maximum d’humanité dans ces histoires absurdes dont l’autrice raffole. Car, comme dans le premier tome de cette nouvelle « série », on a le sentiment que l’aspect « thriller » du roman ne passionne aucunement Luce Michel : elle retarde au maximum la montée en tension, et lorsque, enfin, dans le dernier tiers du livre, il se passe quelque chose de « tangible », elle s’évertue, non sans une sorte de perversité par rapport aux attentes du lecteur de polars, à reléguer l’action dans des ellipses béantes. Sans même parler de son choix très provocateur, finalement, de résoudre – et encore partiellement seulement – l’énigme dans ce qu’elle qualifie d’une épilogue. Histoire de bien nous montrer que ce sont ses personnages qui lui importent, beaucoup plus que les sombres histoires de meurtres (d’animaux, principalement : ici les premières victimes sont un paon, un faisan, un serpent, un chien – peut-être ?…) qui se déroulent autour d’eux !

Si l’on peut, comme pour le premier tome, regretter le choix formel de saucissonner le récit en très courts chapitres, d’une page en général, chacun centré sur un personnage, on comprend qu’il s’agit là d’une démarche reproduisant le montage en parallèle très habituel dans le cinéma contemporain. Il reste qu’on peut juger cette forme « éclatée » contre-productive par rapport au projet de Luce Michel de donner vie à des personnages auxquels on s’attachera.

Pour finir, soulignons que les livres de Luce Michel dégagent une sorte de poésie bizarroïde, joliment dépaysante par rapport à la majorité des romans « de genre », et que, de ce fait, on peut rapprocher ses livres des « rompol » de Fred Vargas. Si l’on réfléchit au fait que Vargas semble – tout au moins c’est ce que la lecture de son dernier livre, Sur la dalle, nous a laissé penser – fatiguée de produire des polars, il y a peut-être là une place à prendre pour Luce Michel.

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