"Clouds In The Sky They Will Always Be There For Me" de Porridge Radio : « You just don’t have the guts! »
Il y a quatre ans, Every Bad avait constitué pour nous un choc majeur, tant au niveau esthétique qu’émotionnel. Nous avions alors cité, sans honte, de grands noms comme « parrains » de Dana Margolin : Robert Smith, Kurt Cobain, Nick Cave… des experts de la douleur et de la musique comme remède. Ou pas. Chez Porridge Radio, l’indie rock anglais, forme élégante s’il en est, devenait d’un seul coup un enfer de tourments intimes, un vortex de mantras obsessifs, duquel il était difficile de s’extraire. Tout du moins indemne.
Deux ans plus tard, Waterslide, Diving Board, Ladder to the Sky marquait – à notre avis – un petit recul en termes d’intensité, une sorte de retour à la « normalité indie rock », qui pouvait plaire plus – sur scène en particulier – à un public pas trop ravi qu’on le prenne autant à rebrousse poil que le faisait Every Bad : nous nous rappelons bien d’amis sortant des premiers concerts parisiens du groupe irrités par les répétitions incessantes de paroles qui caractérisait le chant de Dana. Avec Clouds In The Sky They Will Always Be There For Me, la trajectoire est clairement corrigée, et on s’émerveille à nouveau devant l’intensité des nouvelles chansons de Porridge Radio : Dana a expliqué clairement qu’elle était épuisée par la rudesse de la vie d’artiste (à une époque où le Rock n’est plus à la mode et où « vendre » des disques est un défi), et par un échec sentimental particulièrement rude, dont le tsunami a englouti sa musique.
Sur le versant intensité émotionnelle, nous serons cette fois servis. On est prêt à parier que le crescendo infernal de Lavender, Raspberries rendra jaloux un Robert Smith, qui devrait y reconnaître l’héritage de son inoubliable Pornography (même si formellement, on est bien d’accord qu’on parle d’une musique différente). « I draw a line from my head to the ceiling / I draw a line from my head to the sky / I am a puppet, the clouds they all sing to me / I am the asphalt, I’ll never die » (Je trace une ligne de ma tête au plafond / Je trace une ligne de ma tête au ciel / Je suis une marionnette, les nuages me chantent tous / Je suis l’asphalte, je ne mourrai jamais). God of Everything Else, qui lui succède, ne lui rend aucun point en termes de fébrilité et d’audace : « A year wishing I was somebody else / You always said that I’m too intense / It’s not that I’m too much / You just don’t have the guts » (Une année à souhaiter être quelqu’un d’autre / Tu as toujours dit que j’étais trop intense / Ce n’est pas que je le suis trop / C’est que tu n’as juste pas le courage qu’il faut pour ça !). Prenez ça dans les dents ! Le lyrisme dérangé de You Will Come Home, avec cette voix magique de Dana qui semble toujours à la limite de la rupture, des larmes, montre qu’on peut presque sonner « celtique » sans faire une chanson incitant à boire de la bière. Plutôt de la cigüe, en fait.
Sur versant plus aimable, presque pop, de Porridge Radio, on a une paire de titres qui fonctionnent bien : A Hole in the Ground est superbe, peut-être l’une des chansons les plus séduisantes jamais écrites par Dana, ce qui ne veut bien entendu pas dire que les sentiments exprimés soient « à l’eau de rose »: « Take off all of my clothes and run to your house where in place of a door is a hole in the ground / And I fill it with salt, the hard bits of my heart, they fall into the hole and they tear it apart » (J’enlève tous mes vêtements et je cours vers ta maison où, à la place d’une porte, il y a un trou dans le sol / Et je le remplis de sel, les morceaux durs de mon cœur, ils tombent dans le trou et le déchirent). La petite ritournelle folk de I Got Lost joue également la carte inhabituelle du ravissement, et nous permet de respirer au milieu d’un album orageux, voire tempêtueux. Et le single Sick of the Blues se révèle une célébration presque entraînante du retour à la vie.
Mais ce qui nous interpelle sur cet album, c’est un sentiment – nouveau dans le travail de Dana Margolin (et espérons que cette affirmation, dûment réfléchie, ne la vexera pas) – de MATURITÉ. Sans doute est-ce volontaire, puisque Dana a expliqué qu’elle avait pour la première fois embrassé pleinement son « rôle d’artiste », qu’elle avait évité de se réfugier derrière les facilités habituelles de ses chansons et son gimmick consistant à répéter encore et encore les mêmes phrases. Elle a d’abord écrit des textes qui soient comme de véritables poésies, qui tiennent tout seul, avant de les transformer en chansons. Une démarche qui, grâce à une production de Dom Monks (Big Thief, Laura Marling…) plus riche que sur les albums précédents, donne des résultats plus qu’étonnants : une merveille comme Wednesday positionne Dana en pole position dans une possible succession à PJ Harvey (non pas que cette succession soit ouverte !). « Oh, sunlight, climb into bed / Sing me a sad song and dream all my dreams with me / Oh, shadow, you will always be there for me / The clouds in the wind, the birds in trees » (Oh, soleil, grimpe dans mon lit / Chante-moi une chanson triste et rêve tous mes rêves avec moi / Oh, ombre, tu seras toujours là pour moi / Les nuages dans le vent, les oiseaux dans les arbres).
La majesté (faussement) sereine de Pieces of Heaven, autre chef d’œuvre d’un album qui n’en est pas avare, trace un nouveau chemin, peut-être plus accessible à ceux qui n’avaient pas jusque là les « guts » pour supporter les déchirements abrasifs de Porridge Radio.
Clouds In The Sky They Will Always Be There For Me est en tout cas une formidable récompense pour tous ceux qui, comme nous, on cru dans le potentiel de Porridge Radio. Un groupe qui entre cette fois dans la « cour des grands ».