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Le journal de Pok
11 octobre 2024

"A Modern Day Distraction" de Jake Bugg : les meilleurs moments de notre vie…

Quelqu’un se souvient-il encore de l’apparition tonitruante de Jake Bugg en 2012, avec un premier album célébré, primé et devenu un succès commercial (pas loin d’un demi-million d’exemplaires vendus…) ? Le problème est que, depuis, Jake Bugg n’a jamais réussi à renouer avec ce moment de grâce qui l’avait vu, pour un court instant, être le grand espoir du Rock anglais. Non, pas que ses albums aient été mauvais – on peut les trouver aussi bons que le premier, voire même meilleurs pour certains -, mais le miracle de l’alignement des planètes ne s’est pas reproduit. Et ne se reproduira sans doute plus.

Alors, arrêtons de regarder en arrière, et écoutons sans trop réfléchir A Modern Day Distraction, son sixième album : les trois brûlots qui ouvrent le ban, Zombieland, All Kinds of People et Breakout sont trois « killers », qui laissent croire que, ça y est, Jake nous a pondu un chef d’œuvre « classique » : la manière impérieuse, très proche de celle d’un Miles Kane, la frime liverpuldienne de ce dernier en moins, avec laquelle il s’attaque à des formes « ancestrales » du rock’n’roll, se les approprie, et les modernise grâce à une production très rentre-dedans, est extrêmement spectaculaire. Il suffit de penser à cet enchaînement terriblement jouissif sur Breakout d’une intervention à la guitare acoustique hispanisante et d’un solo électrique hystérique pour constater qu’il est possible « d’oser » formellement sans trahir « l’esprit ». Mais Jake Bugg utilise aussi cette flamboyance pour parler du quotidien de gens ordinaires, de parents, d’amis, et la vigueur électrique de Zombieland, par exemple, ne sert qu’à « habiller » un mal-être social profond : « Round and round it goes again / Everyday just looks the same / A broken man in Zombieland / He knows the price he has to pay / It hurts, but he’s too proud to say / Does all he can in Zombieland » (Tout tourne en rond encore et encore / Chaque jour se ressemble / Un homme brisé à Zombieland / Il sait le prix qu’il doit payer / Ça fait mal, mais il est trop fier pour l’admettre / Il fait tout ce qu’il peut à Zombieland).

Derrière la quasi alégresse que dégagent les chansons de Jake Bugg, pour la plupart très entraînantes, on trouve des récits plutôt sombres : le monde actuel est sans pitié, et le rock doit continuer à jouer son rôle de miroir honnête de la réalité sociale ou politique. C’est ainsi que le plus calme Never Said Goodbye revient sur la perte d’un ami proche, et sur la douleur universelle qui accompagne cette révélation que l’on ne parlera plus jamais à quelqu’un qui nous était cher : « I never said goodbyе / I thought we had more time / I thought you’d always bе / Standing next to me / And if I only knew / We had so much to lose » (Je n’ai jamais dit au revoir / Je pensais que nous avions plus de temps / Je pensais que tu serais toujours / À mes côtés / Et si seulement j’avais su / Que nous avions tant à perdre).

Mais après ce très beau Never Said Goodbye, les titres suivants révèlent ce qui est peut-être la faiblesse du disque, ce qui témoigne d’une forme de schizophrénie : il y a, d’un côté, des chansons pop / rock très polies par une production à la limite du clinquant, et, de l’autre, un amour du folk à l’américaine, de la country même, qui appelle plus au dépouillement. Ce grand écart entre les genres trahit-il des doutes de Jake sur le chemin à suivre, ou, au contraire, une volonté affirmée de regrouper sur un même album tout ce qu’il aime ? En tous cas, il y a gros à parier que chacun choisira son camp.

Certains applaudiront une démarche pas si éloignée de celle de ses concurrents US, les Lemon Twigs, qui est de retrouver la classe de la pop music des années 60, avec un savoir-faire contemporain. Et un doigt de lyrisme, parce que le lyrisme aide à supporter la petitesse du monde : Gotta Let You Go en est le meilleur exemple une, très belle mélodie pop (peut-être la plus belle de l’album) qui enchante une réflexion bien venue sur la nécessité de se débarrasser du passé pour pouvoir avancer : « Goodbye, baby, goodbye / We had a hell of a ride / But I’ve got to let you go / This is the end of the line / We had the time of our lives / But I’ve got to let you go » (Au revoir, chérie, au revoir / Nous avons vécu une sacrée aventure / Mais je dois te laisser partir / C’est la fin du chemin / Nous avons passé les meilleurs moments de notre vie / Mais je dois te laisser partir).

D’autres apprécieront au contraire l’esprit convivial d’un I Wrote The Book, la belle simplicité de All That I Needed Was You, qui renvoie plaisamment aux débuts plus « folk » de Jake, ou encore la délicatesse – déjà plus « produite » néanmoins – de Beyond The Horizon. Mais tout le monde devrait se réconcilier sur Still Got Time, ample conclusion tentant une sorte de synthèse de l’album, et portant un message positif, certes stéréotypé, mais bien utile en cette époque troublée : « Don’t stop dreaming / I know we’ve still got time / Don’t stop dreaming / We’ll make it out alive » (N’arrête pas de rêver / Je sais que nous avons encore du temps / N’arrête pas de rêver / Nous nous en sortirons vivants).

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