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Le journal de Pok
25 septembre 2024

"Speak No Evil" de James Watkins : crier et rire dans une salle de cinéma !

L’exercice du remake US d’un film européen – ou asiatique – est sans nul doute celui qui prête le plus le flan à la critique de ce côté-ci de l’Atlantique : adjonction de psychologie explicative, happy end systématique, etc. on connaît la recette états-unienne pour convertir un film « étranger » aux goûts des mangeurs de pop corn locaux. Et ce Speak No Evil, qui plus est produit par la discutable « maison Blum », ne fait pas exception à cette triste règle, si l’on en croit ceux qui ont vu l’original danois ici reproduit.

Pour les autres, qui ne connaissent pas (encore) le film de Christian et Mads Tafdrup, le bilan est beaucoup plus positif : Speak No Evil est l’un des thrillers les plus choquants que l’on ait vu depuis longtemps, un vrai pur plaisir de cinéma régressif, qui donne envie de rire, de crier, bref de s’enthousiasmer si on le regarde au premier degré (comme on faisait devant un film il y a millier d’années !). Et, au delà du script malin, le mérite en revient à James Watkins, réalisateur britannique remarqué – même si ses films ne sont pas des chefs d’œuvre – et surtout à James McAvoy, absolument superbe en macho toxique terriblement séduisant jusqu’à ce qu’il révèle ses penchants psychopathes.

Le pitch est connu, et dévoilé un peu trop franchement par la Bande Annonce : un couple d’Américains déracinés à Londres, qui plus est en pleine crise, accepte l’invitation d’un autre couple, rencontré lors de vacances en Italie, à venir passer le week-end chez eux dans l’Ouest de l’Angleterre. Mais ce fameux week-end va salement déraper quand nos bons expatriés vont découvrir la personnalité « particulière » de leur hôte.

La construction du film est intelligente, avec une montée très graduelle de la tentation, mais aussi une multiplication de scènes « cringe » (l’embarras, la gêne étant devenus des ingrédients incontournables de nos jours pour provoquer l’inconfort chez les spectateurs), avant une conclusion ultra-violente, qui fera inévitablement penser au chef d’œuvre du génial et regretté Sam Peckinpah, les Chiens de Paille (soit l’une des meilleures références qui soit, dans le genre). Préparez-vous donc à une heure cinquante minutes de montagnes russes émotionnelles, et à des sensations fortes auxquelles il vaut mieux ne pas vouloir résister : crier aide, rire aussi pour relâcher la tension, le film demande donc à être vu un samedi soir, dans une salle bien remplie de spectateurs enthousiastes.

Si Speak No Evil fonctionne aussi bien, c’est d’abord à cause de son interprétation : les quatre adultes au centre de l’histoire sont tous les quatre parfaits – même si le rôle de Ciara (Aisling Franciosi) est moins riche, moins bien écrit, alors qu’il aurait pu ouvrir plus largement encore une nouvelle perspective dans l’histoire. Mackenzie Davis et Scott McNairy incarnent parfaitement ce couple en pleine implosion, chamboulé ar le déracinement culturel : originaires de la partie des Etats-Unis la plus démocrate et progressive (woke ?), ils se retrouvent dans une Angleterre rurale bien plus rude et « sincère » (comme le clame leur hôte, Paddy !). Cette idée d’un écart culturel énorme – d’où la référence aux Chiens de Paille – est passionnante, et très habile, parce qu’elle explique largement et le malaise qui s’installe, et l’obstination du couple à supporter les offenses grandissantes de leur hôte, qu’ils excusent en les mettant sur le compte de ce déphasage.

Mais le vrai grand sujet de Speak No Evil, qui fait que l’édifice scénaristique tient remarquablement bien debout, c’est celui de « l’emprise », cette domination qu’exerce – initialement sans violence – un être (souvent mâle…) sur son entourage, son conjoint, ses enfants, ses amis. Un phénomène assez courant, où les victimes se retrouvent dans le déni de ce qu’ils vivent, croyant jusqu’au bout à l’amour ou à l’amitié de leur bourreau. Et c’est là où l’interprétation de James McAvoy est extraordinaire : il ne nous refait pas, ce que nous pouvions redouter, le coup du schizophrène effrayant de Split, mais il est un bon gros macho toxique, et pourtant charmant, drôle, sympathique, auquel il est difficile de refuser quoi que ce soit – et en particulier ce « male bonding » que désire sans le savoir le pleutre Ben.

Jouant avec aisance sur deux tableaux – le thriller perturbant et la finesse psychologique – Speak No Evil est donc un bel exemple de cinéma populaire réussi. Espérons qu’il rencontre son public.

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