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Le journal de Pok
21 septembre 2024

Réécoutons les Classiques du Rock : "At Folsom Prison" de Johnny Cash (1968)

Depuis ses tous débuts, le Rock’n’roll a joué avec l’image de « mauvais garçons » de ses stars, misant sur la séduction exercée par ceux-ci sur les jeunes filles (de race blanche) étouffant dans une société US corsetée, mais aussi sur l’envie de « rébellion » des ados prompts à s’identifier à des hors-la-loi romantiques. Il est difficile de ne pas rire de cette pantomime relevant d’un Marketing alors naissant aussi pitoyable que fondamentalement malhonnête : à quelques exceptions près – et elles ne sont pas reluisantes, de Phil Spector à Bertrand Cantat -, le Rock a compté très peu de véritables criminels dans ses rangs. Et c’est d’ailleurs bien mieux comme ça.

Le cas de Johnny Cash, le premier rocker (tout au mois d’envergure internationale) à avoir joué dans l’enceinte d’une prison, devant un public constitué de détenus, est intéressant, vu de cette perspective, et ce d’autant que les meilleurs enregistrements live des concerts qu’il donna durant de longues années dans des centres de détention, At Folsom Prison et At St Quentin sont des chefs d’œuvre.

Certes, « l’homme en noir » a lui aussi joué avec son image de « bad boy » alors qu’il était jeune, et sa bio officielle de l’époque mentionnait des séjours en prison qui n’avaient été en fait que de brèves arrestations très ordinaires pour des faits anodins. Mais c’est en regardant un reportage sur la prison de haute sécurité de Folsom en 1953 (Inside the Walls of Folsom Prison) alors qu’il effectuait son service militaire en Allemagne que Cash commença à se passionner pour la dure existence de ceux qui vivaient enfermés dans le système pénitentiaire. Il en fit l’une de ses meilleures chansons, Folsom Prison Blues, qui contient la célèbre ligne “I shot a man in Reno just to watch him die” (J’ai tué un homme à Reno, juste pour le voir mourir), et qui devint un succès populaire… en particulier chez les détenus. Et il commença, dès 1957, à tourner dans des prisons pour chanter devant un public captif et captivé (mauvais jeu de mot, pardon !) par ses chansons. A posteriori, étant donné l’homme de foi que devint Johnny Cash, ses biographes expliquent cet intérêt par le fait qu’il était déjà touché par le concept de « rachat », de « rédemption », particulièrement fort lorsqu’il s’illustrait via des criminels endurcis, mais il est certain que lui-même s’identifiait profondément avec ceux que la société avait exclus, et qui survivaient en marge de la normalité. Soit là encore, un thème classique du rock’n’roll (et du Rock qui suivit), il faut le reconnaître.

C’est alors que Johnny Cash sortait d’une période difficile suite à des problèmes d’addiction – résolus – et à une baisse de son succès commercial que lui (re)vint l’idée d’enregistrer l’un de ses concerts « en prison ». Cash, grâce au soutien de son nouveau producteur Bob Johnston, et accompagné de son nouvel amour, June Carter, ainsi que de son groupe, jouera deux sets de suite à Folsom, le 13 janvier 1968 : deux sets qui seront enregistrés et donneront naissance à l’un des plus beaux albums live de l’histoire du Rock. Ce sont d’ailleurs principalement les titres du premier qui composent la tracklist de l’album, qui s’ouvre, logiquement, sur le célébrissime Folsom Prison Blues et se referme avec le merveilleux Greystone Chapel : ce dernier morceau avait été écrit justement par un détenu à Folsom, et Cash ne l’entendit pour la première fois que la veille au soir ! Il décida pourtant d’en faire le couronnement de son set du lendemain, ce qui est encore un témoignage de l’urgence, de la sincérité avec lesquelles l’événement fut organisé.

Mais ce que ce disque, littéralement bouleversant, démontre mieux que tout autre enregistrement « live », c’est que c’est d’abord le public qui fait le concert. Car ici, on assiste à une heure de confrontation « virile », mi défi, mi fraternisation, entre les taulards de l’une des plus dures prisons des US, et un homme – accessoirement un immense chanteur – qui croit intimement que ce n’est que la chance qui lui a permis de rester « du bon côté des grilles ». Les chansons de meurtres, de vols, de jugements, d’exécutions, de chagrin et de solitude qu’il aligne ici, avec une classe et une sensibilité inouïes, s’amplifient de manière hallucinante : on a le sentiment d’entendre comment chaque mot chanté par Johnny Cash résonne dans le cœur du public, d’un public d’hommes brisés mais pourtant vivants. Ou qui se sentent à nouveau vivants en écoutant un artiste transformer leurs crimes et leurs châtiments en musique et en poésie. Et on ne peut qu’être éblouis par l’empathie – dénuée de toute démagogie, de tout « effet de showbiz » – dégagée par Cash chaque fois qu’il dialogue avec son public si particulier : ça s’appelle tout simplement de l’humanité.

Jamais sans doute la musique n’a été aussi clairement essentielle que sur cet album.

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