"One Of a Kind" de The Heavy Heavy : les Sixties durent toujours…
Tiens, voilà exactement le genre de disques qu’on n’a pas du tout envie d’écouter, celui de jeunes gens d’aujourd’hui qui font la même musique qu’on jouait il y a plus d’un demi-siècle ! Coup de Marketing malin pour récupérer le marché mondial des boomers qui répètent à n’en plus finir que « le Rock », c’était quand même mieux avant » ? Nostalgie sincère d’une époque qu’ils n’ont pas connue, eux, mais imaginent parée des couleurs brillantes de l’innocence ? On opter, au bénéfice du doute, pour la seconde option, d’autant que s’il y a bien une chose qui ne manque pas dans One Of a Kind, c’est la joie. Qui est quand même un composant bienvenu dans la musique, surtout quand on vit une époque aussi sombre et angoissée que la nôtre !
Georgie Fuller (chant) et William Turner (chant et la plupart des instruments) ont écrit les douze chansons de One Of a Kind, un disque que l’on jurerait pourtant être un « simple » album de reprises de classiques méconnues des sixties. Et ils les interprètent comme si aujourd’hui n’existait pas encore, comme si l’enthousiasme et l’esprit positif des années 60 avait subsisté, par miracle, à Brighton en 2024. Car nos deux Anglais y croient dur comme fer, on le sent bien ici : non, ce n’est pas un disque de vieux requins venus cachetonner, mais de jeunes gens de notre époque qui clament leur amour pour les Mamas and Papas, les Beatles, les Who (période pré-Tommy), Fleetwood Mac, Simon and Garfunkel ou le Jefferson Airplane. Qui conjuguent sans honte le flower power des sixties californiennes et la pop hallucinée du Swingin’ London. Et qui se disent qu’ils peuvent eux aussi composer, jouer et chanter ce genre de chansons, en les faisant baigner dans une riche sauce « soul music », façon Motown, sans lésiner pour autant sur les sonorités psychédéliques. Et qui… le prouvent.
Bon, William et Georgie racontent que leur modèle a été le Goat’s Head Soup des Stones : on veut bien les croire, mais on a du mal à reconnaître cette influence, si ce n’est peut-être dans l’impudente audace typique d’une époque où on ne se posait guère de questions, et dans l’appropriation décomplexée des codes de la musique noire par le rock’n’roll. Pour compléter le tableau, et jeter aussi un léger doute sur nos propos précédents, il convient aussi de préciser que, avant ce premier album, The Heavy Heavy ont déjà rencontré le succès aux Etats-Unis avec un EP (Life and Life Only) qui lorgnait, lui, du côté du folk-rock US étiqueté Laurel Canyon. D’où la possibilité que leur objectif soit réellement de revisiter l’histoire du Rock et de s’amuser à réenchanter des musiques éteintes : pourquoi pas le glam rock ou la new wave british du début des années 80 pour leur prochain disque ?
Le titre qui nous paraît le plus impressionnant ici est Dirt, où rock heavy et soul music copulent allègrement pour enfanter un monstre souriant. Mais il faut évidemment citer aussi les deux singles irrésistibles, Happiness (pop littéralement immortelle) et Because You’re Mine (redoutable morceau rock tendu et pourtant exubérant). Et le clin d’œil « country music gouleyante » de Wild Emotion, où l’accumulation impudique de clichés n’est synonyme que de plaisir. Et…
… Autant arrêter là, et juste admettre que, malgré nos réserves de principe sur ce type d’exercice, nous avons été séduits. Et que nous comprenons la hype qui est en train de se développer, en Grande-Bretagne, mais aux Etats-Unis surtout, où l’on affirme sans gêne que The Heavy Heavy sont ce qui se fait mieux dans le Rock de 2024.
C’est sans doute aller un peu loin, mais pourquoi nier le plaisir qu’ils nous offrent ?