Neil Young Archives Vol. III : un coffret gargantuesque !
1976 – 1987 : onze années compliquées dans la carrière de Neil Young, une discographie qui passe par des hauts (très hauts, comme Rust Never Sleeps en 1979, lorsque Neil intègre dans sa démarche le choc du punk rock) et des bas (très bas, comme Everybody’s Rocking, Old Ways ou le calamiteux Landing On Water). Mais, si l’on regarde ces dix années de manière plus constructive, ça aura été également la période où, réagissant au drame de la naissance d’un second enfant lourdement handicapé, Neil aura essayé en permanence de se réinventer et de trouver de nouvelles manières d’exprimer en musique tout ce qui le bouleversait. Et, alors que le tsunami punk rendait obsolète bien des groupes célébrés jusque là, cette explosion désordonnée de créativité allait conférer au Loner une image de musicien audacieux, un peu fou, qui allait lui sauver la mise dans les livres d’histoire du Rock. Et qui allait payer dans les années 90, qui le verraient devenir une figure tutélaire du mouvement grunge.
Mais quand même, on n’attendait pas forcément beaucoup du volume III des Archives, l’âge d’or des grandes compostions étant plutôt passé. La surprise est donc de taille, d’abord d’avoir ce coffret entre les mains moins de 4 ans après le volume II, et surtout devant les dimensions gargantuesques de ce nouveau festin musical : pas moins de 17 CDs sont mis d’un coup à la disposition des fans (à comparer aux 10 des volumes précédents) ! Ce sont 198 morceaux à écouter, ce qui effraie, dont 121 versions inédites de titres déjà connus… mais seulement 15 chansons inédites… On peut donc regarder ce volume colossal de manière négative : 15 chansons nouvelles, cela tiendrait sur 1 seul CD et serait beaucoup plus acceptable pour notre portefeuille !
On peut aussi respecter le principe, désormais rigoureux, de ces Archives, qui est de livrer aux fans et aux complétistes un relevé chronologique des enregistrements studios, d’une manière indépendante des albums « officiels » qui en auront recueilli les fruits (puisqu’on sait que Neil aura largement fonctionné en dispersant ses enregistrements sur divers albums au fil de son inspiration). En y ajoutant plusieurs enregistrements live de qualité (susceptibles de paraître de manière indépendante, mais pas forcément), on dispose ainsi d’un panorama sinon exhaustif, mais du moins significatif du travail de Neil Young sur la période donnée.
Rentrons maintenant dans le détail de ce que l’on trouve de nouveau, d’original ou d’intéressant de ce troisième coffret (en reconnaissant avoir pour l’instant fait l’impasse sur les titres et versions déjà connues) :
Le coffret s’ouvre sur un long (couvrant 2 CDs) enregistrement live inédit de Neil, d’abord en solo acoustique, puis avec Crazy Horse, selon son mode habituel. Datant de 1976, ce double album, Across the Water fait un peu double emploi, pour sa partie acoustique, avec Songs for Judy, publié en 2018. Mais il est impossible de nier, vu la qualité des sets offerts par Neil et son cheval fou à cette époque, le plaisir d’écouter la partie électrique, faisant oublier son absence d’originalité et de nouveauté : car aligner des ouragans soniques comme Cowgirl in the Sand, (une version de huit minutes de) Southern Man, Down By The River, Like a Hurricane et Cortez the Killer est l’apanage de très peu de musiciens dans l’histoire du Rock.
Snapshot In Time est un bel – et finalement assez rare chez Neil – exemple d’enregistrement quasi amateur, réalisé « autour d’une table », chez Linda Rondstadt à Malibu : Neil voulait présenter à Linda et à Nicoletta Larson onze nouvelles chansons pour voir si elles étaient intéressées de les chanter avec lui, et David Briggs était là pour enregistrer ces « démos ». Il est tout à fait possible de préférer ces versions très brutes (mais évidemment merveilleusement interprétées, avec les tentatives vocales quasiment parfaites des deux chanteuses et la virtuosité de Neil) aux versions finales apparaissant sur les albums officiels. Il s’agit en tout cas d’un enregistrement très précieux, presque magique par instants.
Union Hall est l’enregistrement de 1977 dans cette salle de Nashville d’une répétition avant un concert, avec le groupe jouant sur Comes A Time au complet (appelé The Give To The Wind Orchestra) : l’approche très « country traditionnelle » fonctionne bien sur nombre de titres, comme certains extraits de Harvest, mais les quelques morceaux électriques manquent logiquement de la force du Crazy Horse. Le son est assez moyen, ce qui rend cet Union Hall un peu anecdotique. On notera néanmoins un inédit d’un lyrisme inhabituel qui ne manque pas d’intérêt, Lady Wingshot, et pour compléter le CD, un outtake électrique mais paresseux de Comes A Time, We’re Having Some Fun Now.
Boarding House est la retranscription – sur 2 CDs aussi – de concerts solos donnés en 1978 dans cette salle de San Francisco. Son grand intérêt vient du fait qu’une bonne partie de la setlist est constituée de titres nouveaux, probablement jamais encore joués en acoustique en public, que Neil interprète avec enthousiasme (à un moment, un spectateur crie : « Tes titres nouveaux sont meilleurs que les anciens ! »). Il faut reconnaître une vraie fraîcheur à ces enregistrements, qui manque à certains des albums live de la période précédente…
… Mais le choc du coffret, apparaissant au milieu de ces titres live, est un enregistrement littéralement inespéré : Devo interprètent Neil Young !!! Une version proto-punk rapide et violente de Into the Black, sur laquelle se pose le chant de Mark Mothersbaugh (à vérifier…), avec des broderies électroniques typiques du groupe d’Akron… Neil Young est à la guitare électrique, égal à lui-même, c’est-à-dire impérial. C’est du jamais entendu, c’est un rêve pour le fan, et c’est un bijou : près de 10 minutes de chaos magnifique !
Sur le CD numéro 12, après les chansons de l’album Trans, on peut aussi découvrir 9 chansons, dont 6 inédites, enregistrées début 1982 pour un album qui ne verra pas le jour, Johnny’s Island : il s’agit d’un disque très pop-rock, avec certains titres très éloignés du style habituel du Loner. Plutôt légère, voire joyeuse, la musique, très « MOR », bénéficie régulièrement d’harmonies vocales réussies, mais est parfois gâchée par l’usage de synthés déplaisants. Bref, une curiosité sympathique, mais certainement pas la découverte d’un épisode important de la trajectoire de Neil Young, qui cherchait de nouvelles voies en partant dans tous les sens. On peut aussi penser que cet album facile aurait pu être un succès commercial, ce qui aurait changé les choses pour Neil. Ou pas du tout…
Le CD numéro 13 (judicieusement intitulé Evolution) nous propose aussi un joli lot de compositions originales non publiées à date (6 « nouveaux » titres). Malheureusement, il s’agit là d’un bric-à-brac illustrant cruellement les impasses formelles dans lesquelles Neil s’enfonce en 1983 et 1984. Entre les chansons country trop traditionnelles au banjo (California Sunset, My Boy) et les tentatives quasi synth pop maladroite (I Got a Problem), on dressera l’oreille lors d’un Get Gone, rock’n’roll live rugueux, sur le modèle Not Fade Away, et d’un Razor Love ne manquant pas de qualités en dépit de son traitement électronique.
Touch The Night est l’une des plus belles surprises du coffret : un concert, enregistré en 1984, littéralement enragé avec Crazy Horse, comprenant deux chansons inédites, Rock (basique, comme son titre l’indique, et furieusement efficace) et So Tired (au riff presque heavy metal), mais dont la setlist est composée quasi totalement de titres électriques rarement joués. Et avec une grandiose conclusion de onze minutes (Touch The Night) qui pourrait figurer parmi les expériences live les plus notables de Neil… Voilà un album qui montre un Neil Young se ressaisissant après ses récentes errances, et qui aurait amplement mérité une publication séparée. Un album qu’on écoutera certainement en boucle pendant 4 ans en attendant le volume IV des Archives !
On trouve 4 chansons originales sur le CD consacré à la période The International Harvesters (1984-1986), « immortalisé » par l’album A Treasure paru en 2011 : sans surprise, et ce d’autant que ce sont des titres « mineurs » non retenus pour l’album, on est dans de la country music extrêmement traditionnelle, plaisante car entraînante (surtout pour les morceaux enregistrés en live), mais finalement assez anonyme, si ce n’était le chant si caractéristique de Neil. Anecdotique, donc, même si loin d’être honteux. On écoutera toutefois avec plaisir This Old House, émouvant hommage à la résilience du peuple américain en des temps économiquement difficiles, et qui rappelle que Neil – en plus « bouseux » – n’est pas si loin d’un Springsteen.
Road of Plenty documente le naufrage de Landing on Water, en lui ajoutant trois titres en « version originale » qui s’avèrent paradoxalement plutôt intéressants : Road of Plenty est du Neil Young classique mais correct, We Never Danced une version live, émouvante, de cette belle chanson qui paraîtra sur l’album Life (celui qui marquera la sortie du tunnel, mais on y reviendra dans le prochain coffret), et pour finir une bonne interprétation de When Your Lonely Heart Breaks.
Summer Songs est une collection de 8 quasi-« démos » acoustiques, datant de 1987, qui se retrouveront (ou pas) dans des versions différentes sur des albums ultérieurs. On est devant ce qui aurait pu constituer un beau disque, et que Neil Young mettra de côté (et oubliera à moitié) pour « passer à autre chose » : les mystères du Loner…
Enfin, signalons un ajout à cet nouveau coffret, qui s’avère bien utile : chaque enregistrement est introduit par un court commentaire audio de Neil lui-même, qui en détaille brièvement le contexte, les circonstances et les musiciens…
Faut-il acheter ce troisième volume des Archives ? Comme à chaque fois, il est impossible de répondre à la place de chaque fan de Neil. C’est à nouveau un mélange hétérogène – plus qu’à l’habitude, même – qui recèle quelques très, très beaux moments qu’on écoutera avec plaisir, voire avec délices… en attendant la parution du volume IV qui devrait culminer avec la période bien sauvage des années 90.