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Le journal de Pok
6 août 2024

"The Sympathizer" de Park Chan-Wook et Don McKellar : le Vietnam raconté par les Vietnamiens

On voit peu de projets de séries TV aussi excitants que ce The Sympathizer de la maison HBO : le grand réalisateur coréen Park Chan-Wook (déjà responsable de la magnifique série d’espionnage The Little Drummer Girl d’après John Le Carré) aux commandes de l’adaptation d’un célèbre best seller de Viet Thanh Nguyen, Prix Pulitzer en 2016. Cerise sur le gâteau, la participation au projet de Robert Downey Jr., grand acteur qu’on se réjouit forcément de voir échapper pour un temps aux « marvelniaiseries » alimentaires où il se complait désormais : l’idée étant de le voir relever le défi de Peter Sellers dans Docteur Folamour, et interpréter plusieurs personnages fantaisistes, grimé parfois jusqu’à être physiquement méconnaissable.

Roman d’espionnage, réflexion sur l’immigration et l’adoption des valeurs du pays où ils s’installent par les immigrés, drame humain, comédie satirique, mais également vision de la Guerre du Vietnam du point de vue des Vietnamiens, The Sympathizer est une œuvre d’une complexité effrayante, facile à trahir. On imagine bien que le thème de la duplicité – revenant fréquemment dans les films de Park Chan-Wook – a séduit le Coréen, mais était-ce suffisant pour garantir une série au niveau de l’œuvre littéraire ?

Débutant par la chute de Saïgon, moment traumatique de l’histoire du XXème siècle, The Sympathizer se concentre ensuite sur l’histoire du « Capitaine », espion nord-vietnamien initialement infiltré dans la police sud-vietnamienne, puis envoyé aux USA pour faire partie de l’équipe rapprochée du « Général » exilé, et surveiller les plans de cet ancien « ponte » sud-vietnamien bien décidé à mener une guerre de reconquête de son pays. La trajectoire tragico-comique du personnage principal, métis franco-vietnamien (bien campé par Hoa Xuande, acteur lui-même métis) est contée en mode flashback, alors que le « Capitaine » est détenu dans un « camp de rééducation » (un concept communiste tristement célèbre au XXème siècle) par ses propres employeurs le soupçonnant d’être devenu un agent double à la solde des USA. Au cœur du roman, et donc de la série, se trouve un épisode-clé du « story telling » US autour de la guerre du Vietnam : le tournage d’un film USA, « le hameau » (sorte de Platoon ou d’Apocalypse Now), sur lequel « le Capitaine » est conseiller technique, et tente d’injecter un minimum de véracité vietnamienne, passage aussi important politiquement qu’irrésistible de drôlerie.

Sans réelle surprise, la série The Sympathizer a trois temps forts : le premier épisode, celui de la chute de Saïgon, d’une complexité et d’une intelligence magnifiques, se terminant par des scènes d’une puissance émotionnelle rare, preuve s’il en est du génie de Park Chan-Wook à la réalisation (il ne dirige que les trois premiers épisodes sur les sept de la série) ; l’épisode sur le tournage du « hameau », où le grand réalisateur brésilien Fernando Mirelles (récemment applaudi pour son travail sur Sugar) fait des merveilles dans le registre de la bouffonnerie tragique ; l’épisode final, malheureusement moins inspiré du point de vue réalisation, sur la réalité des camps de rééducation, horreur sans nom, mais également contenant un « twist » satisfaisant expliquant a posteriori tout ce que nous avons vu jusque là.

Le problème de la série est que, au delà de ces trois temps forts, le reste – c’est à dire la mission aux USA du « Capitaine », qui ne fait guère de sens, et la vie quotidienne qu’il mène alors qu’il « s’américanise » progressivement en Californie – n’est guère passionnante. La virtuosité de la mise en scène de Park Chan-Wook donne de temps en temps le change dans les épisodes 2 et 3, mais ce n’est pas suffisant pour maintenir notre intérêt, d’autant que la bizarrerie de la relation amoureuse du « Capitaine » avec Sofia (Sandra Oh) est plus anecdotique qu’autre chose. Alors oui, on se délecte des pitreries de Downey Jr., mais on a quand même l’impression qu’il s’agit là d’une stratégie « dérivative » pour compenser la faiblesse de cette partie de The Sympathizer.

C’est dommage, mais ce n’est heureusement pas suffisant pour qu’on ne sorte pas du visionnage de The Sympathizer avec la satisfaction d’avoir assisté à un projet ambitieux sur un thème important (qui raconte l’Histoire et comment la raconte-t-on ?) : peut-être une réussite moindre que ce qu’on espérait, mais une réussite quand même !

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