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Le journal de Pok
15 août 2024

"Sur la Dalle" de Fred Vargas : anatomie d’une chute

C’était il y a si longtemps, déjà. Plus de trente ans, en fait. Nous découvrions l’Inspecteur Adamsberg, tentant de résoudre l’énigme de L’Homme aux cercles bleus, en usant de méthodes vraiment pas conventionnelles, et nous tombions sous le charme de l’imagination foisonnante de Fred Vargas : de la poésie simple et douce de son écriture, des images farfelues qu’elle faisait naître dans notre tête, de l’humanité, voire de la bienveillance qui se dégageait de ses polars dont la noirceur – inhérente au genre – était toujours traversée d’une lumière apaisante. Pas mal de très bons livres plus tard, nous avons senti que le « système Vargas » commençait à tourner en rond, que l’autrice, créatrice à elle seule d’un genre, le rompol (policier romantique ?), bégayait, ressassait les mêmes louables obsessions (pour les traditions françaises, pour la nature, pour les petits animaux…) au point de les rendre… fatigantes. Et puis, Vargas se ressaisissait, et nous offrait un Quand sort la recluse goûteux, qui nous redonnait espoir…

Après un long silence, tout du moins du côté de ses polars, puisque Vargas a continué à écrire des essais sur des sujets qui lui tiennent à cœur, comme le changement climatique, nous voici avec entre les mains Sur la dalle, la dixième enquête d’Adamsberg et de sa fine équipe, enquête menée cette fois dans une petite ville d’Ille et Villaine, consistant à défendre un descendant/sosie de l’illustre Chateaubriand quand tout l’accuse de plusieurs meurtres. Un point de départ charmant, où l’on retrouve le goût habituel de Vargas pour la vie provinciale tranquille, les rituels repas entre amis, et la douce folie que portent en eux, souvent honteusement, nombre de « gens ordinaires ».

Le problème vient que, rapidement, on s’ennuie légèrement devant cette succession interminable de ripailles – avec détail du menu – dans l’auberge du coin (déjà vues dans Dans les bois éternels), et de péripéties absurdes qui ne mènent nulle part (comme cette histoire ridicule de voyous parisiens venus en découdre avec Adamsberg, qui ne sert qu’à positionner Retancourt comme super-héroïne qui aurait parfaitement sa place dans l’écurie Marvel).

Quand, à mi-chemin d’un livre bien deux fois trop long, l’enquête bifurque sur une nouvelle bande de truands patibulaires, et que déferle sur la petite ville bretonne des dizaines et des dizaines de flics généreusement (!) envoyés par la hiérarchie (que Vargas n’hésitera à conspuer plus tard pour son manque « d’humanité » !), Sur la dalle prend un virage regrettable vers l’invraisemblance totale. Mais pas cette jolie invraisemblance « poétique » qu’on avait appris à aimer chez Vargas : non, un véritable fouillis de n’importe quoi, qui mettra à rude épreuve la patience de tout fan du genre policier.

Mais tout cela ne serait pas très grave finalement, si Vargas ne commettait aussi ici un véritable « crime contre ses personnages », construits avec tant de finesse et humour au fil des années : le comportement et le rôle de chacun des membres de l’équipe d’Adamsberg semblent déconnectés de tout ce qu’on a appris d’eux au fil des livres… comme si Vargas avait elle-même oublié les caractéristiques, pourtant singulières, dont elle les avait parés. L’absence de conflit – voire d’interaction – entre Adamsberg et Danglard – qui ne sert absolument à rien – en est le symptôme majeur, mais il n’est pas le seul.

En refermant Sur la dalle, après une conclusion à peu près correcte de l’énigme principale, on se dit que ce que ce qu’on devine, derrière un livre aussi mal fagoté, aussi peu convaincant, c’est tout simplement le manque d’intérêt de l’autrice elle-même envers un univers et des personnages dont elle a clairement fait le tour…

Espérons donc que Fred Vargas, que nous avons tant aimée, se réinvente et parte dans une autre direction, plus stimulante. Elle en est capable.

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