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Le journal de Pok
8 août 2024

"Smoke & Fiction" de X : adieu et merci !

Alors que tant de temps a passé, il devient indiscutablement vain de ressasser encore, en compagnie des quelques rares « fans » du groupe en France, que le monde est passé à côté du plus grand groupe punk rock US, et que c’est bien entendu rageant, voire désespérant. X, responsable d’au moins quatre albums majeurs – parfaits, en fait – dans les années 80, reste largement inconnu. Pourtant X existe encore, et dans sa configuration originale, s’il vous plaît. Et X tourne encore, inlassablement, sur les routes états-uniennes, donnant toujours des concerts qu’on nous raconte comme mémorables. Mais X ne vient plus jouer en Europe depuis longtemps : trop peu d’intérêt pour leur musique de ce côté de l’Atlantique, tant pis pour nous qui en pleurons de rage.

Et voilà maintenant que le groupe annonce prendre sa retraite, bien méritée, mais non sans avoir sorti un ultime album, leur neuvième, ce Smoke & Fiction qui tourne inlassablement sur notre platine depuis sa sortie. 10 chansons, 30 minutes, le standard « punk » est respecté, même si, en frôlant les trois minutes, les morceaux sont plus longs qu’à une certaine époque (celle du redoutable The Gift…). Formellement, aucune surprise dans cet ultime opus : la magie de la « formule X » reste la même, et opère de la même manière. Il y a les deux voix de Exene Cervenka et John Doe, qui se répondent et s’entremêlent magnifiquement : à leurs débuts, on les comparait « vocalement » au Jefferson Airplane ! Le fait que Ray Manzarek les produisait et jouait de son orgue très reconnaissable avec eux les reliait également à l’histoire de la meilleure scène rock californienne. Car, bien que profondément ancrée dans la réalité des années 80, en particulier grâce à des textes remarquables, la musique de X ne faisait pas table rase du passé : le foudroyant guitariste soliste, Billy Zoom, avait débuté – au moins c’est ce qu’on raconte – à l’adolescence en jouant avec Gene Vincent, et a toujours intégré quelque chose du rockabilly dans son punk rock. Quant à Exene et John, leur amour pour l’Americana et la Country Music est devenu de plus en plus visible au fil des années… Tout cela se retrouve donc, pour la dernière fois donc, dans Smoke & Fiction… Pour notre plus grand plaisir.

On a lu quelques critiques regrettant que le groupe sonne fatigué, moins original qu’avant, dans ce disque. Il est difficile à notre avis d’identifier de la fatigue ici, tant les vocaux sont passionnés, fougueux (certes moins ironiques, narquois, blasés qu’au sommet des années de provocation punk), et tant la guitare de l’éternellement souriant Billy dégomme la concurrence. Quant à l’originalité, oui, il nous faut bien concéder que tout qu’on trouve ici peut rappeler des chansons qu’on a déjà entendues auparavant, et parfois en mieux : l’ultra-efficace Struggle n’est-il pas par exemple une resucée du grandiose Johnny Hit And Run Paulene ? Mais n’est-ce pas exactement l’objectif de ce disque, refermer une histoire de manière cohérente, respectable, sans aller cette fois chercher de nouveaux territoires au delà du punk rock agressif mais mélodieux qui constitua la légende de X (rappelons que, par exemple, X explora la forme « hard rock » avec son Ain’t Love Grand, mais aussi une musique bien plus « roots » sur See How We Are) ?

Si les musiciens de X ne sont pas fatigués, non, ils sont, comme beaucoup de gens de leur génération, sensibles à la nostalgie. Les textes de Smoke & Fiction sont souvent consacrés à des souvenirs ou à des réflexions sur le temps qui passe. Big Black X (citant évidemment le coup de maître que fut leur album Under The Big Black Sun) souligne l’importance de la mémoire en une époque où les mensonges abondent : « Memories are gettin’ late / Not erased like tape / Not replaced with fake » (Les souvenirs se font vieux / Pas effacés comme des enregistrements sur bande magnétique / Pas remplacés par des faux). Après s’être réjouis en rappelant les nombreuses frasques de leur jeunesse (oui, il y eut beaucoup de fêtes et d’abus en tous genres !), Exene et John Doe nous encouragent : « Stay awake and don’t get taken / We knew the gutter / Also the future » (Restez éveillés et ne vous faites pas prendre / Nous avons connu le caniveau / Mais aussi l’avenir…). Car X était un groupe POSITIF, un peu à la manière d’un The Clash (en moins politique) : la colère et l’énergie de la jeunesse – il est vrai longtemps sublimées par l’amour entre Exene et John – ont toujours été des raisons d’avancer.

Et c’est probablement là la seule réelle limite d’un album qui aligne encore plusieurs titres mémorables (Sweet Til The Bitter End, furieux et qui ressemble à un nouveau classique ; The Way It Is, ample et d’une très belle tristesse ; Big Black X, le single ; Smoke & Fiction, où la voix d’Exene fait merveille ; Struggle, jouissif comme aux premiers jours…), c’est que ce groupe que nous avons tant aimé et que nous aimons tellement encore nous demande désormais que continuer à avancer sans lui.

Alors, adieu, X, et merci pour tout !

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