"Le nid du coucou" de Camilla Läckberg : le roi coucou...
On ne parle certainement pas assez de Camilla Läckberg dans ces pages, sans doute parce que nous sommes tous noyés de polars scandinaves depuis plusieurs décennies, au point de ne plus savoir toujours séparer le bon grain de l’ivraie. Et puis une autrice qui est systématiquement au sommet des ventes et dont les livres sont présentés en tête de gondole dans les grandes surfaces du livre (enfin, celles qui restent) a-t-elle besoin qu’on parle d’elle ? C’est pourtant négliger un côté diablement intéressant de ces polars, qui les distinguent du tout-venant du genre, leur « poids humain ».
Gökungen (titre original signifiant « le Roi Coucou », et, comme souvent, bien plus approprié que le titre français) est un polar diablement efficace, qui nous saisit rapidement dans le suspense de son enquête sur deux crimes commis coup sur coup dans une petite communauté vivant sur l’île de Fjällbacka (une petite île suédoise qui serait donc l’épicentre de toute la violence du pays, vu que Camilla Läckberg y multiplie les meurtres et les enquêtes). Une communauté qui tourne autour d’un écrivain nobélisable, de sa famille et de « sa cour », et qui cache de nombreux secrets commençant à être révélés par la presse et mettant en danger sa cohésion.
Le livre est habilement construit sur deux fils narratifs : l’un raconte les enquêtes menées en parallèle par Patrick, l’un des flics locaux chargé d’élucider les meurtres, et par son épouse Erica, écrivain à succès ; l’autre nous renvoie 40 ans en arrière, et revient sur l’existence de Lola, transsexuel charismatique mais souffrant de l’intolérance violente qui était de mise à l’époque vis à vis de cette communauté (mais est-ce que ça a vraiment changé, comme le prétendent les « anti-wokes » acharnés ?). A la fin, comme on l’imagine bien, les deux récits vont se rejoindre dans une jolie révélation, peut-être inutilement alourdie par une succession rapide de coups de théâtre et de péripéties.
Mais là n’est pas pas finalement le plus important : ce qu’on retient du Nid du coucou, c’est – comme toujours chez Läckberg – l’aspect profondément humain de ces histoires, la manière dont chaque personnage – ou presque – est sauvé par ses sentiments, par la révélation de ses faiblesses terriblement humaines. Nul n’est réellement condamné par l’autrice, chacun a ses raisons, même les plus mauvaises, comme chez Renoir. Et à la fin, que ce soit grâce à la lumière que dégage le magnifique personnage de Lola ou en dépit de l’obscurité qui entoure un « coucou » plus pitoyable, avec ses mensonges, que détestable (on a pensé un moment au personnage, bien réel lui, de l’Adversaire de Carrère), ou surtout grâce à ces multiples petits ou grands drames ordinaires que vivent les nombreux protagonistes du roman, c’est l’émotion qui prévaut.
Il est d’ailleurs étonnant comment la multiplication des personnages, qui a tendance à nous égarer durant les 100 premières pages du livre, en devient ensuite un atout, en constituant un univers riche et complexe, dépassant le simple décor d’une enquête policière.
C’est là une singularité qui fait le prix du travail de Camilla Läckberg, que nous nous promettons de suivre plus fidèlement désormais.