"City of Darkness" de Soi Cheang : nostalgie d'un cinéma (et d'un monde) disparu
Les deux premiers films de Soi Cheang qu'on a pu voir sur les écrans français se sont avérés tous deux des semi-déceptions, mais pour des raisons différentes, et il était difficile de trouver beaucoup de points communs entre Limbo et Mad Fate, au delà d'un goût démesuré du réalisateur pour les excès en tous genres, aux dépens d'ailleurs de l'histoire, pas forcément mauvaise, que chaque film nous racontait.
Avec City of Darkness, quelque chose change, et notre adhésion aux délires de Soi Cheang se fait plus franche... sans doute parce que le film se place tout à fait honnêtement dans la tradition du polar / film de baston hong-kongais des années 80-90, dont les codes seront largement respectés (hormis, sur la fin, l'ajout pas forcément pertinent de "super-pouvoirs", visiblement inspiré par le cinéma d'action indien).
Situé, de manière historiquement réaliste, à la jonction des années 80 et 90, alors que se dessine la menace de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, City of Darkness se déroule dans un quartier célébrissime de la ville, la citadelle de Kowloon, enclave "chinoise" dans laquelle la Loi de Hong-Kong ne régnait pas, et qui était donc un repère de truands en même temps qu'une ville dans la ville où "prospérait" une population foisonnante livrée à elle-même. Et il faut bien dire que la reconstitution, largement digitale malheureusement, de ce lieu digne de Blade Runner, constitue le plus gros point fort du film de Soi Cheang, et justifie à elle seule de le voir.
Sinon, le scénario, complexe mais plutôt bien construit, renvoie totalement à ce qu'on aimait dans le cinéma hong-kongais de la période dorée : il s'agit d'opposer des bandits d'honneur, respectueux des codes et des inviolables serments d'amitié, à une nouvelle génération de voyous sans foi ni loi, au long de combats de plus en plus violents et extrêmes. Ce qui revient à une succession de scènes brillantes en termes d'action, d'arts martiaux, de cascades invraisemblables à la chorégraphie spectaculaire, et de beaux moments d'émotion, portés par des acteurs convaincants et charismatiques. Bref, un petit régal pour les nostalgiques, comme nous, d'un cinéma - et d'un monde - disparu, qui nous enchanta lorsque nous le découvrîmes dans les années 80 et 90.
Il reste que, en dépit de sa réussite indéniable, City of Darkness ne nous dit rien non plus sur le cinéaste qu'est - ou que pourrait être Soi Cheang, puisqu'on a finalement affaire à un simple exercice de style, même s'il est brillamment exécuté.