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Le journal de Pok
11 août 2024

"Almamula" de Juan Sebastián Torales : la forêt magique et la sensualité de la religion

Evidemment, on se rend bien compte que qualifier un nouveau réalisateur – qui plus est venu d’Argentine, pays où le cinéma d’auteur est la plupart du temps pointu et exigeant – de disciple d’Apichatpong Weerasethakul ne va pas attirer les spectateurs par milliers dans les trop rares salles qui programment Almamula. Pourtant, on espère qu’il s’agit là d’un compliment sincère qui éveillera l’attention des cinéphiles toujours à la recherche de voix nouvelles dans le cinéma bien trop formaté de notre époque. On est d’ailleurs pas sûr que « vendre » le premier long-métrage de Juan Sebastián Torales comme un film fantastique, ainsi que c’est (un peu) le cas de la bande-annonce et des commentaires dans la presse, est lui rendre service : les sièges risquent vite de claquer quand les aficionados du cinéma de genre se désespéreront devant l’indolence (apparente) avec laquelle Torales nous raconte son histoire (autobiographique, a priori) d’éveil d’un jeune garçon à la sensualité, et à la sexualité…

Nino, le « héros » d’Almamula, éternellement caché derrière la grande mèche qui lui tombe devant les yeux, est un presqu’adolescent qui bouillonne de désirs pour… les autres garçons. Chose très mal vue dans l’Argentine de l’époque (bien qu’il n’y ait pas de marqueur temporel clair, on imagine bien le film se dérouler il y a au moins une vingtaine d’années), et qui lui vaut d’être non seulement tabassé par ses condisciples, mais également prié par les parents de ces derniers de vider les lieux. Le voilà installé pour une durée indéterminée avec sa sœur furieuse et sa mère – conformiste et croyante – peu compatissante dans la campagne profonde, où l’on va tenter de le faire revenir « dans la norme » à coup de catéchisation forcée. Mais dans la forêt « magique » proche, erre l’Almamula, une créature fantastique qui enlève les enfants « ayant péché ». Et Nino voit très vite dans les rituels du catholicisme une incitation claire à la sensualité et à la masturbation (ah ! ce Christ nu et blessé, seulement vêtu d’un morceau de tissu qu’on a envie de soulever !). Partagé entre les obsessions charnelles générées par la religion et l’attirance pour une sexualité « naturelle », toute aussi mystérieuse et envoûtante, Nino va vivre le grand été de sa vie !

On voit bien à la lecture de ce – pour une fois – long résumé la richesse des thèmes qu’explore Torales : au delà d’un retour – occasionné apparemment par un travail personnel de psychanalyse – sur sa propre découverte du sexe, l’auteur prend à la bras le corps (même si c’est avec une infinie douceur, caractéristique de tout le film) les préjugés de la société argentine, issus d’un mélange de foi ultra-traditionnelle et de profond racisme envers tout ce qui n’est pas d’origine blanche européenne. Almamula ne choisit jamais entre la contemplation sereine de la nature profonde et littéralement magique de l’existence, les poussées fiévreuses de désir (le film aurait peut-être gagné à être plus frontal, moins pudique, mais on imagine que ce n’est toujours guère possible en Argentine) et la satire sociale, voire politique. Et c’est ce mélange inattendu, mais parfaitement équilibré, des genres qui séduit, et distingue d’ailleurs le cinéma de Torales de celui de Weerasethakul.

Au delà du travail remarquable sur les images – splendides du début à la fin, sans tomber sans l’académisme – et du son – la vie animale dans la forêt et ses cris effrayants ! -, Torales manifeste une attention et une bienveillance de tous les instants vis à vis de tous ses personnages, même ceux dont nous ne partageons pas forcément les idées et les préjugés (on pense au prêtre, mais aussi à la mère, dure et insensible vis à vis de son fils, mais souvent à la limite de se laisser elle-même emporter par « le péché »). Et tout cela avec une légèreté, voire même un léger humour qui empêche Almamula de sombrer dans l’austérité et le drame : on pense à la comparaison des garçons tyranniques à une accumulation de crapauds, ou encore au gag subtil de la couleur de la peau du Christ crucifié.

Un détail encore : il semble que, lors de ses avant-premières, le film ait eu un dernier plan (ce ciel bleu dans lequel flotte – et descend – un « chapelet » constitué de ballons) très court, donnant un sentiment de fin abrupte et donc frustrante. La version sortie en salle ce mercredi se termine, elle, par le même plan, mais assez long pour que le message soit clair, et que la très relative indétermination de la fin ne soit aucunement ambigüe.

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