Réécoutons les classiques du Rock : "Live MCMXCIII" du Velvet Underground (1993)
Flashback : le 17 juin 1993, nous sommes, avec une bande d’amis pour qui le Velvet Underground constitue une sorte d’alpha et d’oméga de la musique que nous aimions, à l’Olympia. En serrant les fesses, littéralement. Car nous allons être confrontés au groupe le plus mythique de l’Histoire du Rock. Quelque part, c’est là l’un des pires cauchemars possibles pour nous : est-ce raisonnable d’aller voir (et écouter) le Velvet Underground sur scène, en 1993 ? Absolument pas ! Pourtant, après beaucoup d’hésitations, nous y sommes dans cette Olympia qui n’a sans doute jamais autant mérité son nom de « demeure des Dieux », une Olympia bruissant de commentaires, de la part de ceux qui y étaient, sur les deux concerts des jours précédents. L’ambiance est très, très particulière, le public très mélangé, avec des gens de tous âges et tous horizons, et la tension palpable… Cette soirée n’a rien à voir avec un concert ordinaire.
Et puis le Velvet est là, sur scène, devant nous. Une sorte d’incrédulité hilare m’envahit… et les morceaux de la meilleure partie de notre passé défilent : Venus In Furs, Femme Fatale (la pauvre Nico n’est plus là, malheureusement, mais a-t-elle vraiment fait partie du groupe…?), Afterhours (merveilleuse Moe Tucker, qui récolte – logiquement – la plus belle ovation de la soirée), etc. Très vite, tout est clair, et plus personne n’y trouve rien à redire : le Velvet sonne comme à l’époque, sans tentative d’actualisation. Le son est plus clair, les instruments peut-être plus « sophistiqués » (je pense à la ridicule guitare moderniste de Lou Reed en particulier), mais c’est bien le Velvet qui joue pour nous, avec enthousiasme (même si l’on sait que ce ne sont pas de joyeux drilles…) et surtout lucidité : nulle tentative de faire croire que tout est exactement comme avant, comme en 1967…
Lou Reed et John Cale s’effacent même judicieusement derrière la force incomparable de la plupart de ces chansons, effectivement séminales. C’est à peine si, à un moment, je réalise que John Cale n’était déjà plus dans le Velvet pour la moitié des morceaux de la setlist, mais, paradoxalement, sa présence sur Rock’n’Roll ou sur Sweet Jane – les deux seuls morceaux de Loaded joués ce soir – n’est en rien contradictoire avec le fait que nous savons bien que le VRAI, le GRAND Velvet, c’était quand John Cale en constituait l’élément perturbateur et, pourtant, une grande partie de l’âme.
Bien entendu, au milieu de ces 21 morceaux mythiques – avec, en bonus, une courte plaisanterie, Velvet Nursery Rhyme (qui sert à présenter des gens qui n’ont aucun besoin de présentation) et un… nouveau titre (Coyote) en conclusion, totalement anodin, qui n’avait rien à voir avec le Velvet, mais bien avec la production actuelle, très irrégulière, de Lou Reed, on retiendra certains plaisirs plus intenses encore que les autres : All Tomorrows Parties, et le long texte récité de The Gift, d’ailleurs deux morceaux « chantés » par John Cale, deux morceaux envoûtants où la noirceur d’hier resurgit le plus… Et surtout, surtout, une version puissante de Heroin, qui n’enterre peut-être pas toutes les versions précédentes, mais est en tout cas, LE moment où le spectre du Velvet nous est vraiment apparu ce soir, dans toute sa glorieuse horreur…
En sortant après plus de deux heures d’un set qui avait dépassé nos espoirs (très relatifs, il est vrai), nous avons souhaité que cette résurrection (qui avait été provoquée par une demi-réconciliation entre Reed et Cale pour le très bel album Songs For Drella, puis par des retrouvailles du groupe tout entier lors d’une exposition consacrée à Andy Warhol à Jouy-en-Josas) soit éphémère. Que ce nouveau souvenir ne soit pas gâché par une « véritable reformation » ! Finalement, ce concert a été une sorte de démonstration par l’absurde qu’il n’y a plus de Velvet Underground, et que cette soirée, nous aurons d’ici peu le sentiment de l’avoir rêvée…
Et, on le sait, le Velvet ne s’est pas reformé, des dissensions étant immédiatement apparues durant ce très bref dernier tour de piste. Et puis Sterling Morrison est mort… De ce moment très improbable où nous avons vu et entendu le Velvet jouer à l’Olympia de Paris, il nous reste cet enregistrement, disponible en format d’album simple et de double album, mais également en DVD, les concerts de l’Olympia ayant été filmés. Mais ce qu’on entend sur ces disques est bon, très bon à l’occasion, mais n’est pas particulièrement magique. Comme si la véritable magie avait été dans nos têtes. Dans nos cœurs. John Cale a expliqué ensuite qu’il avait été frustré par le son sur ces albums, trop « propre », qui ne reflétait pas ce qui s’était passé à l’Olympia, en particulier lors du second concert, d’après lui le meilleur.
Mais peut-être que, pour Cale comme pour nous, la « magie » n’était pas réelle, seulement dans sa tête et dans son cœur.
En tous cas, il nous faut accepter ce Live MCMXCIII pour ce qu’il est, certainement pas un « chant du cygne » (ce dernier chant dont on dit qu’il est le plus beau), mais le dernier tour de piste d’un groupe essentiel qui aura au moins évité de s’enrichir sur notre nostalgie.