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Le journal de Pok
28 juillet 2024

Réécoutons les classiques du Rock : "Highway 61 Revisited" de Bob Dylan

Revisiter aujourd’hui le brûlot vengeur, visionnaire, qu’est Highway 61 Revisited, c’est plus qu’un choc émotionnel et artistique : l’occasion parfaite de renouveler nos vœux, sans doute… Le bouillonnement des instruments, la voix nasillarde, le « flow » intarissable de Bob Dylan, qui vitupère comme un prophète grisé par son propre génie, qui profère d’intarissables anathèmes, mais surtout, surtout, l’incroyable intensité qui se dégage de ces 50 minutes mémorables, réellement fondatrices pour une génération, la mienne…

Mais bon, vous n’avez aucune raison de me croire sur parole, alors vous pouvez poser la question à l’IA, puisqu’il semble qu’aujourd’hui, on n’ait plus besoin d’écrire un article, Chat GPT le fait à notre place. Voici ce que l’IA peut nous dire à propose de Highway 61 Revisited : « L’album Highway 61 Revisited de Bob Dylan, sorti en 1965, est considéré comme un tournant majeur dans l’histoire de la musique. Il est souvent crédité pour avoir consolidé la transition de Dylan du folk acoustique au rock électrique, un changement qui a profondément influencé la musique populaire. Les morceaux de l’album, tels que Like a Rolling Stone et Desolation Row, sont renommés pour leurs paroles poétiques et leur complexité narrative, marquant un tournant dans l’écriture de chansons. L’album est également notable pour son impact culturel et social. Il reflète les turbulences de l’époque, notamment les mouvements pour les droits civiques et les contestations sociales. En poussant les limites du genre et en abordant des thèmes plus controversés et introspectifs, Dylan a contribué à redéfinir les attentes envers les artistes populaires et à établir le rock comme une forme d’art sérieux et réfléchi. »

Qu’est-ce que je peux rajouter à ça ? Rien ! Mais en fait tout, parce que Dylan, c’est une… EXPERIENCE HUMAINE, une chose que l’IA a du mal à saisir. Parce que, à 15 ans, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi tout le monde criait au génie en parlant de Dylan, je préférais nettement les Beatles, plus mélodiques, plus gais, plus… « Rock ». Il faut dire qu’à l’époque, en France, on écoutait surtout les chansons de Dylan dans leur versions françaises (!), chantées par le gentil Hugues Aufray : inutile de dire que ce n’était pas tout à fait la même chose. Du coup, j’avais acheté Tarantula, le recueil de poésie et de prose de Dylan, en anglais, lors d’un voyage à Londres, et je m’échinais à traduire chacun des textes : déjà sérieusement barrés à l’origine, il est inutile de dire que, comme pour ce cher Hugues, ma version française était totalement à côté de la plaque !

Et puis un jour, je suis tombé sur Highway 61 Revisited, et BAM ! Ça m’est dégringolé dessus comme une tonne de rochers dévalant de la montagne. « How does it feel? / How does it feel? / To be without a home? / Like a complete unknown? / Like a rolling stone? » (Qu’est-ce que ça fait? / Qu’est-ce que ça fait? / D’être sans domicile? / Comme un parfait inconnu? / Comme une pierre qui roule? – bon, j’admets, en français, ça le fait pas vraiment !) : les larmes aux yeux – comme d’ailleurs quand je le réécoute un demi-siècle plus tard, j’ai réalisé que c’était là mon destin. Ficher le camp, partir à travers le monde, comme un étranger – mais surtout un étranger à moi-même. Et surtout, comme une pierre qui roule, ne jamais amasser de mousse.

C’était le sixième album de Dylan, celui du passage au Rock, à l’électrique, on le sait. Mais aussi celui du passage de « simple » héraut folk de la révolution qui s’annonçait (trois ans plus tard, la jeunesse était dans la rue, dans toutes les capitales occidentales, enfin, celles qui comptaient) à celui de rocker, sombre, ironique, noir. Punk avant l’heure. Le genre qui meurt à 27 ans et entre dans la légende. Sauf que Dylan était trop malin pour ça : en survivant à tout, même à un accident de moto, il avait compris qu’il pourrait se taper plein de jolies filles, mener une vie de rock star, faire absolument n’importe quoi et quand même un jour recevoir le Prix Nobel.

Bon, j’exagère un peu, il y a quand même aussi des textes politiques, et un paquet même, sur cet album enragé : mais pester contre le Vietnam, pour Dylan c’est avant tout défendre la classe ouvrière US dont les jeunes sont envoyés à l’abattoir alors que pas un dollar n’est investi dans la protection sociale : « Mama’s in the factory / She ain’t got no shoes / Daddy’s in the alley / He’s lookin’ for food / I am in the kitchen / With the tombstone blues » (Maman est à l’usine / Elle n’a pas de chaussures / Papa est dans la ruelle / Il cherche de la nourriture / Je suis dans la cuisine / Avec le blues de la pierre tombale), le refrain de Tombstone Blues exsude une haine profonde, celle d’un jeune homme surdoué face à un monde qui ignorait et tuait ses enfants.

Je ne vais pas revenir sur chacune des 9 chansons qui composent ce disque de 51 minutes, elles sont toutes parfaites (allez, je vous accorde que It Takes a Lot to Laugh, It Takes a Train to Cry ou Queen Jane Approximately sont un peu trop « pépères » par rapport au reste !) : des milliers de lignes ont déjà été écrites sur cette œuvre dantesque, par des gens bien plus intelligents, cultivés et spécialistes de Dylan que moi. Mais si je peux vous donner un conseil, ne lisez pas ces analyses, ces louanges, ces célébrations. Ecoutez juste ce putain de disque. Il y a là AU MOINS une poignée de chansons qui peuvent changer votre vie. Ou plus important, vous changer, vous.

Pour moi, avant même la poésie hallucinée des 11 minutes de Desolation Row, immense fresque déjantée, baroque même, posée sur une guitare faussement allègre, c’est Ballad of a Thin Man qui a enfoncé définitivement le clou que Like A Rolling Stone avait planté : « Something is Happening, but you don’t know what it is… Do you, Mr Jones? » (Il y a quelque chose qui est en train d’arriver, mais vous ne savez pas ce que c’est… N’est-ce pas, Monsieur Jones ?) ironise le petit juif maigre, « beau comme Lucifer ». En tout cas, moi, j’ai passé toute ma vie depuis à essayer de le savoir.

N’est-ce pas, Mr Zimmerman ?

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