"Les effacées" de Bernard Minier : de la Galice à Cuenca, en passant par Madrid…
Alors qu’elle mène une enquête sur la disparition de jeunes femmes « ordinaires » – ces « Effacées » qui donnent son titre au livre – dans la Galice froide et pluvieuse de l’hiver, Lucia Guerrero est rappelée d’urgence à Madrid pour quelque chose de bien plus « sérieux », un crime atroce ayant touché la grande bourgeoisie madrilène. Car ce qui affole le pouvoir, c’est le slogan « Tuons les riches », retrouvé près de la victime. Un slogan qui, relayé par la presse sans scrupules et les réseaux sociaux, va conduire à des émeutes dans la Capitale et dans de grandes villes espagnoles.
En créant une nouvelle héroïne, Lucia, enquêtrice de la Guardia Civil (apparue pour la première fois dans Lucia, il y a deux ans), Bernard Minier a eu une intuition bienvenue : délocaliser ses polars de l’autre côté des Pyrénées pour leur ajouter un contexte géographique et culturel original. Car cela fonctionne parfaitement, grâce – il faut le dire – à une vraie compréhension de l’Espagne, et à un travail très sérieux de documentation sur le terrain. On visitera donc ici outre la Galice, dont Minier dresse un portrait peu flatteur (une partie de sa famille en est originaire), et Madrid, une capitale à taille humaine dont on sent qu’il l’aime, mais également le massif montagneux de la Sierra de Guadarrama au dessus de Madrid (ce qui permet à Minier de retrouver ces atmosphères glacées qu’il chérit) et surtout Cuenca et ses « casas colgadas » qui servira de cadre spectaculaire au dénouement du roman.
Pour le reste, c’est-à-dire le déroulement de deux enquêtes en parallèle, on ne peut pas dire que Minier soit très original, et on peut même a contrario apprécier la relative simplicité des énigmes policières, sans twist exagéré et avec peu d’exploitation de scènes gore comme le thriller français en est friand (hormis le premier crime madrilène). A ce sujet, les lecteurs de Grangé regretteront sans doute des références à l’Art avant-gardiste le plus extrême, assez similaires à celles de La terre des morts. Ce qui étonne le plus, c’est l’ajout d’un autre fil narratif, très secondaire, autour des « incels », que les lecteurs n’ayant pas lu Le silence selon Manon de Benjamin Fogel découvriront peut-être ici, et dont on comprend à la fin qu’il sert surtout à annoncer la prochaine enquête de Lucia. Minier nous offre au fil de son intrigue des réflexions pertinentes – même si elles ne sont pas très originales – sur l’accroissement de la tension et par là-même de la violence dans nos sociétés polarisées, auxquelles la politique n’offre plus de solution, et surtout quelques pages passionnantes d’un entretien entre Lucia et un profiles / thérapeute.
Il est par contre dommage que le thème de la haine des femmes, au cœur du drame galicien et du phénomène incel, ne soit pas également présent dans l’intrigue madrilène : Minier se prive du coup d’une cohérence thématique qui aurait renforcé son propos et aurait certainement pu rendre les Effacées beaucoup plus pertinent.