"Happenings" de Kasabian : encore un album réussi qui énervera « les gardiens du bon goût rock »
A part nous, personne n’avait aimé The Alchemist’s Euphoria, le premier album de Kasabian sans Tom Meighan, viré par ses potes pour cause de violences envers sa compagne. C’était il y a deux ans déjà, et, paradoxalement, tout le monde ou presque est tombé à bras raccourcis sur un groupe dont il aurait fallu louer le courage et les principes : mais non, surtout en France où « les gardiens du bon goût rock » n’ont jamais réellement reconnu le génie mélodique d’un Serge Pizzorno – bien plus bel héritier des Beatles que les horribles Gallagher Bros -, il est bien vu de rejeter un groupe que son énorme succès populaire Outre-Manche rend antipathique.
Et ce n’est pas ce Happenings qui va changer les choses, au contraire : accueilli par des critiques généralement laudatives en Grande-Bretagne, ce nouvel album ne suscite chez nous que reniflements de mépris, voire anathèmes agressifs. Il faut dire que dans sa recherche d’une formule nouvelle, différente, pour son groupe, Pizzorno a décidé de fouler pour la première fois vraiment franchement les territoires toxiques de la nouvelle « pop » (eh oui, il y a même quelques passages, certes pénibles, comme dans Call, où le chant en passe par le désormais rituel auto-tune !), tout en poussant encore une étape plus loin leurs habituelles expérimentation « dance ». Alors que Kasabian ont toujours été – parfois inconfortablement – à cheval entre l’héritage rock psyché / brit pop et la modernité populaire des hymnes pour dance-floors, Happenings est certainement l’album qui les voit franchement choisir le présent, et renoncer largement (mais pas totalement) aux rituels de la chanson pop telle qu’établie il y soixante ans par Lennon-McCartney. On peut accepter ce pari qui s’avère plus audacieux en fait qu’opportuniste, ou continuer à faire comme si rien n’avait changé dans le « monde du Rock », mais il est impossible, si l’on veut rester un minimum objectif, de nier l’enthousiasme juvénile et la chaleur qui se dégagent des dix courts titres composant les 28 minutes – montre en main – de Happenings.
Les dix titres de l’album n’ont certes pas toutes la force d’un Coming Back To Me Good, belle chanson positive sur notre capacité de résilience face aux changements que nous devons affronter, que nous le voulions ou non (« Ready or not / Don’t give up, it’s not too late / Get the feeling that you’re in a state / The shock is coming over you » – Que tu sois prêt ou pas / N’abandonne pas, il n’est pas trop tard / Prends conscience de l’état dans lequel tu te trouves / Le choc arrive pour te submerger), ou encore d’un Algorithms, single « anthémique » et évident et nouveau classique d’un groupe qui croit toujours à ses capacités d’enchanter les plus noires journées de notre existence. On regrettera donc les maladresses d’un Bird In a Cage qui en fait trop en accumulant les « bidouillages électroniques » gratuits modernisant et dégradant inutilement son essence classiquement psychédélique, ou encore la tentative électro-punk de How Far Will You Go qui sacrifie la richesse des textures et des mélodies typiques du groupe sur l’autel d’une efficacité qu’on ne lui demandait pas.
Réjouissons-nous plutôt à la perspective de nous remuer le popotin sur les dance-floors britanniques sur un irrésistible Dark Lullaby, qui voit Pizzorno transformer ses doutes (raisonnables) quant à la direction à prendre à ce stade (« I don’t know where I’m going now / Can we get back to the start? » – Je ne sais pas où je vais maintenant / Peut-on revenir au début?) en pur plaisir hédoniste. Célébrons le fait que Pizzorno, même dans un format « dance-friendly », n’a rien perdu de sa capacité à écrire de grandes hymnes pop, comme ce G.O.A.T. au lyrisme parfaitement « classique ». A l’autre extrémité du spectre musical, retrouvons l’essence de l’indie rock populaire d’autrefois, transmutée en complainte pour notre époque, sur un angoissant et pourtant hyper efficace Passengers : « Nobody’s getting out alive, I say, oh-ee-yo / Only passenger on this ride, I say, oh-ee-yo / Everything is lost / And you couldn’t give a toss » (Personne ne s’en sortira vivant, je dis, oh-ee-yo / Seul passager de ce manège, je dis, oh-ee-yo / Tout est perdu / Et tu t’en moques complètement). Mais surtout, sautons en l’air sur un irrésistible Italian Horror, pas avare en Oh Oh Oh à reprendre en chœur, qui devrait donc faire son effet en live.
Dans tous les cas, laissons aux râleurs offensés par l’énergie généreuse de Happenings tout l’espace dont ils ont besoin pour râler, et remercions encore une fois Kasabian de continuer à nous enchanter.