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Le journal de Pok
19 juin 2024

"Darwin, le dernier chapitre" de Michel Moatti : voyage au bout de l’enfer…

En 2024, les réactionnaires de tout poil – et pas mal de croyants de différentes religions – vomissent toujours aussi violemment la théorie de l’évolution des espèces définie par Charles Darwin, naturaliste anglais du XIXème siècle. Et nous ne parlons pas seulement des « habituels suspects » en termes de fanatisme religieux, mais également de candidats à des élections démocratiques dans des pays évolués, à travers le monde. C’est que, évidemment, la démonstration scientifique que Darwin fit, ou au moins initia, sur la manière dont les êtres vivants évoluent pour répondre aux contraintes de leur environnement et même optimiser cette réponse, contredit fondamentalement les notions archaïques de création divine, sans même parler du fait qu’il « ramène » l’homme au niveau de l’animal, voire de la plante. Des idées encore inacceptables pour une bonne partie de la population terrestre du XXIème siècle. Et qui auraient pu valoir à Darwin la mort lors de la parution de son Origine des espèces en 1859.

Flashback : en décembre 1831, le jeune homme, fraîchement sorti de Cambridge, embarque à bord du vaisseau HMS Beagle, qui part sous le commandement du vice-amiral Robert FitzRoy effectuer un tour de monde, avec pour but de procéder à des relevés détaillés de la côte sud-américaine en particulier, ainsi que de ses hauts fonds, relevés qui pourront servir aux opérations militaires de la flotte de Sa Majesté. FitzRoy, marin respecté au caractère difficile, mais également homme brillant et en avance sur son temps, a invité Darwin dans le but de lui tenir « intellectuellement » compagnie durant le long voyage – il durera 5 ans -, craignant de s’ennuyer avec des interlocuteurs moins brillants. Et si les premiers contacts entre FitzRoy et Darwin sont difficiles, une véritable complicité les liera peu à peu, au fil de leurs aventures maritimes, et en particulier face à la figure menaçante de Thomas Wilberforce, le chapelain du navire, qui ne saurait admettre de tels délires sacrilèges. Mais Darwin va rapidement tomber malade, souffrant d’abord du mal de mer, avant que des symptômes plus inquiétants se manifestent…

Soyons clairs : on nous vend à demi Darwin, le dernier chapitre comme un « polar historique », ce qui risque de frustrer de nombreux lecteurs, tant la partie « policière » est réduite à portion congrue. En gros, elle se concentre dans les toutes dernières pages du livre, et la résolution de « l’énigme » de la maladie de Darwin n’offre rien de particulièrement surprenant, ou tout au moins rien que le lecteur n’ait deviné depuis longtemps.

Non, l’intérêt indiscutable du livre de Moatti, c’est plutôt la conjonction d’un récit d’aventures maritimes quasiment classique (on se croirait revenu à l’époque où nous lisions Stevenson) et de discussions « théoriques » à bord du Beagle. Pour ceux qui connaissent un peu les côtes sud-américaines où se passe 80% du récit, le charme est encore plus vif, et le ravissement surgit régulièrement. Le tout embelli d’une belle vraisemblance, puisque Moatti a travaillé au plus près des faits historiques, et a intégré ses personnages fictifs et ses aventures « à lui » au sein de récits existants, publiés à l’époque des événements… ce qui constitue un indéniable – et réjouissant – tour de force.

Il est dommage, vu l’ambition du livre et la franche réussite « romanesque » de la plupart de ses pages que Darwin, le dernier chapitre souffre de défauts qui l’empêchent d’atteindre un statut de « nouveau classique » : d’abord les longueurs inutiles de sa première partie, susceptible de décourager les lecteurs impatients « qu’il se passe enfin quelque chose » ; et ensuite la manque de pertinence et d’efficacité de sa construction « à deux voix », avec un carnet écrit par Darwin, et un autre par Morgan Moss, le cartographe de bord : alors que ce double point de vue devrait apporter de la richesse et des contradictions au récit, et en dévoiler les mensonges ou les illusions, ces deux voix, ces deux récits, s’avèrent quasiment identiques, et n’apportent rien au livre.

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