"Le successeur" de Xavier Legrand : histoire de monstre et incrédulité du spectateur
Jusqu’à la garde avait marqué l’année 2018, et désigné Xavier Legrand comme un possible futur « auteur », qui réussissait à conjuguer d’une manière inhabituelle la maîtrise des mécanismes du thriller le plus anxiogène – quelque part du côté de Hitchcock – avec un réalisme extrême (cette crise de couple qui dérivait vers la violence permettait de citer Maurice Pialat comme inspiration potentielle). Il aura fallu attendre près de 6 ans pour voir le second film de Legrand, mais, malheureusement, si Le successeur confirme pleinement le talent de mise en scène de son auteur, il reste une déception de taille…
… car le gros, l’incontournable problème du film, c’est son scénario – dont Legrand est partiellement responsable, s’agissant d’une adaptation non fidèle d’un roman d’Alexandre Postel : cette histoire d’un jeune créateur de mode d’origine québécoise qui prend la direction d’une grande maison de Haute Couture parisienne, et qui doit revenir à Montréal pour les obsèques de son père avec lequel il avait rompu toute relation depuis longtemps, ne fonctionne tout simplement pas. Si la découverte inopinée de la monstruosité de ce père rejeté est terriblement impactante, le basculement du film à mi-course repose sur l’acceptation par le spectateur d’un comportement particulier du personnage principal… Une acceptation tout simplement impossible, tant elle manque aussi bien de véracité psychologique que de pure crédibilité pratique. A partir de là, après une première moitié très réussie, le film nous a perdu : incapable de poursuivre la fameuse « suspension consentie de l’incrédulité », on ne peut que contempler la suite avec une indifférence croissante. Heureusement, la très belle scène de la cérémonie mortuaire, portée par l’interprétation touchante d’Yves Jacques, permet au film de se clore sur une note satisfaisante…
… Mais sans éviter qu’on ressente une impression de gâchis : une telle intelligence dans le filmage et la mise en scène, un tel sens du rythme (très lent, très juste, très beau) et de la tension interne de chaque séquence (comme dans cette brillante et longue scène d’ouverture sur le défilé de mode), tout ce talent est finalement rendu inopérant du fait d’un scénario mal écrit.
Espérons que nous n’aurons pas à attendre six autres années pour voir le prochain film de Xavier Legrand, où il aura, on en est certain, rectifié ses erreurs, où il réussira à nous conter encore une fois une de ces terribles « histoires de monstre » qui l’obsède visiblement, et qui confirmera pleinement son importance dans un cinéma français ayant besoin d’auteurs de ce calibre.