"True Detective – Saison 4" d'Issa López : au pays de la nuit
Il n’est pas inutile de rappeler l’histoire, compliquée et particulière de la série HBO, True Detective, car elle s’étale désormais sur dix ans, et elle explique sans doute largement pourquoi cette quatrième saison de ce qui fut un bref temps (en 2014) considéré comme l’une des plus belles réussites de HBO, en concurrence avec Sopranos et The Wire, en est arrivée à cette quatrième saison « en dents de scie ».
On était donc en 2014 quand Nic Pizzolatto, secondé par deux acteurs prestigieux (Woody Harrelson et Matthew McConaughey), par ailleurs meilleurs amis « dans la vie », nous offre un True Detective qui marquera au fer rouge tous ceux qui l’ont vu : une sorte de thriller parfait, aussi passionnant que profond, que l’on pourrait qualifier d’équivalent pour le polar de ce qu’est Apocalypse Now au film de guerre. La traque serrée par une paire de policiers d’un monstre assassin dans un Sud poisseux et archaïque, au milieu de magouilles politiques obscures et débouchant sur un vertige métaphysique à la lisière du fantastique. L’occasion d’offrir à deux pointures du cinéma comme Harrelson et McConaughey, surtout, le rôle de leur vie, pas moins.
L’histoire de True Detective aurait dû s’arrêter là, mais comment HBO aurait-elle pu résister à la tentation de répéter ce coup de maître ? True Detective devient donc officiellement une anthologie « de prestige » d’enquêtes policières complexes et « lourdes de sens », portée par des acteurs prestigieux. Mais, dès la seconde saison, un an plus tard, la belle machine s’enraye, et le retour de bâton est impitoyable : en dépit de belles qualités et d’interprètes « bankables » (Colin Farrell, Rachel McAdams et Vince Vaughn), cette seconde saison est descendue en flammes. On peut parier que, sans l’étiquette True Detective, elle aurait été vue comme une semi-réussite, alors qu’elle hérite d’une réputation – largement imméritée, à notre avis – de catastrophe industrielle. HBO attend quatre ans pour retenter le coup, mais rien n’y fait : en 2019, la troisième saison est excellente (avec Maheshala Ali et Stephen Dorff) , une réussite quasiment totale, mais dans un registre sans doute trop éloignée de ce que les fans attendent, et elle est à nouveau assez mal reçue. HBO ne renonce pas à sa franchise pourtant mal en point et décide de virer Pizzolatto de sa création, et de revenir au plus près du concept original : une enquête sur des morts atroces et mystérieuses, à la lisière du fantastique, menée par un couple de policiers mal assorti, dans un décor aux fortes spécificités, soit une photocopie plus ou moins exacte de ce qui a fait le succès de la première saison.
L’époque le voulant – ou plutôt, les producteurs cherchant visiblement à cocher toutes les cases – le casting devient quasiment entièrement féminin, et les problématiques sont celles « à la mode » en 2024, l’écologie et le traitement honteux réservé aux populations « indigènes ». Les « anti-wokes » apprécieront. La Mexicaine Issa López est la showrunneuse et Jodie Foster – fascinante mais parfois ici dans le surjeu, malheureusement – est la seule réelle célébrité à l’écran. Le Sud des US devient l’Alaska, et la chaleur moite se transforme en froid cinglant. Le point de départ est intéressant, puisqu’il s’agit de la disparition de toute l’équipe scientifique d’une station d’étude du permafrost, retrouvée morte de froid dans une tableau humain terrible. Alors que la longue nuit de l’hiver polaire débute, la chef de la police locale, blanche (Foster) et une « gendarme » d’origine inuit (Kali Reis) se heurtent dans leur enquête à un policier corrompu et borné (John Hawkes, excellent d’ailleurs) et à la toute-puissante industrie locale qui pollue sans vergogne et musèle toutes les voix des opposants. Pourquoi pas ?
Le gros problème de cette quatrième saison, lancée avec tambours et trompettes par HBO, et énorme succès de streaming (le plus gros de toute l’histoire de True Detective), c’est qu’elle a été assez vite considérée comme une autre déception, en particulier à cause d’une conclusion frustrante, du fait de l’importance du fantastique dans le scénario : la banquise serait une sorte d’endroit où les morts reviennent encore et encore hanter ou aider les vivants, ce qui ne sert à rien dans l’histoire sinon rajouter de l’étrangeté, et il y a un monde souterrain enfoui sous la glace, le pays de la nuit (« Night Country »), qui lorsqu’on le découvre enfin, ressemble à un décor bizarre d’un film Marvel. Lorsque True Detective se penche sur les nombreux traumatismes familiaux de ses personnages, la série fonctionne bien (même si on a le sentiment que la barque est souvent artificiellement chargée, tant tout le monde ici est profondément torturé), mais lorsqu’elle en revient à son sujet principal, en particulier dans la dernière partie, on a le sentiment que les scénaristes n’ont guère d’idée sur la meilleure manière de résoudre l’énigme qu’ils ont inventée, ce qui conduit à une révélation finale certes sympathique, et même assez drôle, mais quand même bien « wtf ». Quant aux monstres lovecraftiens que l’on imaginait bien tapis sous la glace, ils repasseront.
En toute sincérité, malgré ces réserves de taille, on ne s’ennuie pas durant cette quatrième saison, et, pourvu qu’on arrête de demander l’impossible à True Detective, il n’y a ici rien de honteux. Et de toute manière, du fait du succès public rencontré, la cinquième saison est déjà dans le pipeline.